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un instrument sérieux d’opposition contre son vice-empereur.

Dans la majorité même, Rouher n’était pas sans rencontrer un sourd mécontentement. Sa bonhomie n’était plus comme jadis souriante : elle était devenue importante, peu polie, dédaigneuse ; il avait froissé bien des amours-propres. Ceux qu’on appelait autrefois les Mameluks et aujourd’hui les Arcadiens lui demeuraient inébranlablement fidèles : ils s’offusquaient, il est vrai, de sa complaisance à se plier à des innovations libérales après les avoir lancés au combat contre elles, mais ils ne lui en faisaient pas grief, attribuant sa docilité à un dévouement personnel envers l’Empereur, et au désir d’empêcher un plus grand mal. Cependant la partie plus indépendante de la majorité était, tout en le suivant, froissée de son optimisme de commande, des exagérations de sa défense, de sa facilité à affirmer des faits inexacts, et que tout le monde savait tels. « La plus grande pensée du règne, » à propos du Mexique. « Il n’y a pas eu une faute commise, » à propos de Sadowa, tout cela leur déplaisait. Ils eussent voulu plus de véracité et de mesure, ce qui eût assuré plus de crédit.

Toutefois, quels que pussent être les reviremens ou les infidélités de Napoléon III, les ombrages des membres de la majorité, les intrigues des courtisans, Rouher s’appuyait sur une force qui le garantissait contre toutes les menaces, la confiance de l’Impératrice. Elle était entière. Rouher avait su la capter par ses assiduités, plus flatteuses que des complimens, par l’importance qu’il témoignait attacher à son jugement, par son empressement à la consulter et à l’instruire, par sa souplesse à se prêter à ses désirs et à entrer dans ses idées, et enfin par son dévouement et par les services de toute espèce qu’il rendait chaque jour. La régence était une éventualité que, malgré son attachement à son mari, l’Impératrice se croyait obligée d’envisager parfois. La santé de Napoléon III ne s’améliorait un moment que pour empirer aussitôt. Il ne se couchait pas, il ne se plaignait pas, mais il souffrait toujours. Le 17 juillet, il avait fait faire du feu dans la salle du Conseil[1] ; il avait été plusieurs fois arrêté par

  1. Carnet de Vaillant. — Lettre de Rouher, de Chislehurst, 11 janvier 1873 : « L’autopsie a révélé les vastes ravages faits dans la santé de l’Empereur par la maladie dès 1866, 67 et 69. Les deux reins et l’intérieur de la vessie étaient gravement attaqués. Cause ou résultat de ces désordres irrémédiables, la pierre était d’ancienne et lente formation ; elle était énorme. L’esprit demeure confondu à la pensée des souffrances que ce malheureux souverain a stoïquement supportées depuis plus de dix années. »