descendirent de leurs tablettes pour converser avec le genre humain. Dans les échoppes de ces rues étonnantes, tout est exquis, ne fût-ce qu’un paquet de cure-dents enveloppé d’un papier délicieusement illustré de lettres en trois couleurs. Les billets de banque, la monnaie de cuivre sont choses de pure beauté, oui, jusqu’à la tresse nuancée qui lie le paquet renfermant votre dernière emplette. De quelque côté que vous regardiez, les merveilles abondent. Ne les regardez pas, c’est dangereux : à chaque coup d’œil, quelque chose d’irrésistible vous forcera d’acheter, à moins que vous ne preniez la fuite. Jamais le marchand ne vous fait de propositions, mais ses marchandises sont enchantées, et elles ont beau être à bas prix, vous êtes ruiné d’avance… Les ressources de ce bon marché artistique sont inépuisables. Le plus grand des steamers qui traversent le Pacifique ne suffirait pas à contenir tous les riens qui vous tentent, car, sans qu’on se l’avoue peut-être, ce qu’on a envie d’acheter n’est pas seulement le contenu de la boutique, c’est la boutique elle-même et le boutiquier et les rues entières de boutiques, avec tout ce qu’elles recèlent, c’est toute la ville avec la baie et les montagnes qui lui font une ceinture, et la blanche magie du Fujiyama, suspendue au-dessus d’elle dans le ciel sans tache, enfin c’est tout le Japon avec ses arbres féeriques et sa lumineuse atmosphère, et ses cités, et ses temples, et quarante millions du peuple le plus aimable de l’univers… »
De pareilles impressions constituent à n’en pouvoir douter le coup de foudre et, une fois parti sur cette pente, Lafcadio Hearn ne s’arrêtera plus.
Quel mépris lui inspire le mot grossier d’un Américain pratique : — « Peu importe un incendie au Japon, les maisons ne valent pas cher ! »
Comme si la maison ne valait pas surtout par ce qu’elle renferme ! Ce qui les rend belles ces frêles maisons de bois, provisoires comme des huttes, ne saurait être remplacé, car le Japon est la terre de la variété infinie, faite à la main ; les machines n’ont encore réussi à introduire ni monotonie, ni laideur utilitaire dans les productions les plus humbles, sauf quand il a fallu satisfaire le mauvais goût étranger. Heureusement, dans ce pays d’incendies fréquens, l’impulsion artistique a une vitalité qui survit à chaque génération d’artistes et défie la flamme si prompte à réduire leur travail en cendres ou à le