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UN PEINTRE AU JAPON.

classes une réponse écrite à la question : — Quel est votre plus cher désir ? — Vingt pour cent des réponses furent, avec de très légères variantes : — Mourir pour Sa Majesté sacrée notre Empereur bien-aimé. — Presque toutes les autres expriment le désir de faire du Japon la première des nations par l’héroïsme et le sacrifice.

L’uniformité de la physionomie chez les étudians s’harmonise avec celle de l’esprit.

Regardez les rangées successives de jeunes visages dans une école ; vous ne remarquerez rien qui s’impose, rien d’incisif ; les traits paraissent à demi esquissés, tant sont doux les contours n’indiquant ni agression, ni timidité, ni sympathie, ni curiosité, ni indifférence. Mais quoi, alors ? Quelques-uns ont un air de fraîcheur et de franchise enfantines qui semble appartenir à l’âge le plus tendre, quelques autres sont d’une beauté féminine déconcertante ; il y en a d’insignifians, mais tous sont sans caractère, empreints d’une douceur singulière, reflet du repos parfait, de la placidité rêveuse qui marque la face d’or de Bouddha. Plus tard, à mesure que vous le connaîtrez mieux, chaque visage s’individualisera pour vous davantage ; mais les nuances imperceptibles que vous arriverez à discerner n’effaceront pas chez vous la trace de cette première impression, et le temps viendra, où beaucoup d’expériences variées vous prouveront qu’elle vous a fait pressentir quelque chose du caractère japonais. Vous avez entrevu du premier coup d’œil l’âme de la race avec son amabilité impersonnelle et ses impersonnelles faiblesses. Vous avez eu à demi conscience d’une vie dans laquelle l’Occidental peut trouver un confort psychique comparable au soulagement qu’on éprouve en passant soudain d’une atmosphère étouffante dans un air pur et léger.

Au contraire, les figures d’Occident produisent sur un Chinois ou sur un Japonais l’effet le plus brutal : l’œil enfoncé, le front proéminent, le nez accusé, la forte mâchoire leur paraissent des symboles de force agressive et ils éprouvent ce qu’un animal apprivoisé peut éprouver devant un fauve. Les premiers matelots européens firent l’effet de démons, les démons de la mer, au petit Japonais imberbe ; en Chine, on les appelle encore les diables étrangers, et, dans tels villages écartés, les enfans pleurent à la vue d’une figure européenne ou américaine. Un officier français, qui vint jadis à Matsue comme instructeur