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individualité au milieu du monde musulman, apparurent les caractères fondamentaux du gouvernement marocain. Après la dynastie chérifienne primitive, ce fut la force qui donna le pouvoir et en assura la durée. Une tribu puissante, ou une secte fanatisée, émergeait brusquement, s’imposait à l’émiettement des tribus, installait sa puissance militaire au centre de l’Empire et se maintenait aussi longtemps qu’elle réussissait à contenir ses dissensions intestines ou les prétentions rivales... Le groupement, ainsi favorisé, gouvernait par droit de conquête, frappait d’impôts la plaine soumise, et se bornait à envisager l’impénétrable montagne comme pays de capitulation. Ainsi se précisaient la distinction entre le bled-el-makhzen et le bled-es-siba et, dans le pays makhzen lui-même, la superposition de la fraction privilégiée, fournissant un concours militaire, à la masse dominée, payant l’impôt, en signe d’allégeance. Un semblable gouvernement n’exigeait pas de ressorts compliqués : au sommet, le caïd de la tribu ou le chef de la secte, qui devenait l’émir ; les contribules ou les affiliés composaient l’armée ; les principaux cheikhs ou mokaddems formaient le conseil du souverain.

Avec l’avènement des nouvelles dynasties chérifiennes, les conditions changèrent, et le système primitif ne se trouva plus applicable au régime nouveau. Pour les élever au pouvoir, les Chorfa n’avaient eu derrière eux ni tribu, ni secte, donc point d’armée déjà constituée en vue de les soutenir. Au début du XVIe siècle, c’était la naissante autorité des zaouïas qui avait provoqué le mouvement de renaissance islamique, dont les Saadiens furent l’émanation. Ils n’avaient donc auprès d’eux que quelques bandes, venues du Sous, avec lesquelles ils passèrent l’Atlas. Pour se créer des ressources, se constituer une cour et une armée, les Saadiens furent naturellement amenés à prendre modèle sur les Turcs, qui étaient en train d’organiser leur récent établissement en Algérie, en appuyant la faible milice ottomane par des colonies militaires indigènes, des tribus makhzen, exemptées d’impôts en échange du service. Ce fut l’influence turque qui présida à l’organisation saadiennc. Le sultan militaire Ahmed-el-Mansour appela des instructeurs turcs et forma le gros de son armée avec des corps de renégats, de Maures andalous, de nègres et de Turcs. Cependant, pour donner satisfaction à l’élément arabe, il y incorpora également les troupes venues du Sous et un groupe de Chéraga. Les tribus bédouines