Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/638

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doctrines violentes, encore qu’il les défende avec habileté. Il reconnaît tout de même que ça va mal ; seulement, il estime que c’était fatal, inévitable : cette crise passée, nous serons débarrassés d’élémens qui ne doivent plus figurer dans un corps d’officiers républicains, démocrates, etc. Et quand je m’étonne, que je demande comment de telles théories peuvent se concilier avec l’égalité des droits, avec la faculté reconnue à chaque Français d’arriver, suivant son mérite, à toutes les fonctions :

— Mais enfin, commandant, s’écrie-t-il, quelle inutile générosité vous pousse à défendre ces Messieurs ? Croyez-vous qu’ils vous en sachent jamais gré ? Votre origine, votre « milieu » naturel et, à elle seule, votre indépendance d’esprit vous rendent irrémédiablement suspect à leurs yeux. »

— Je n’y contredis pas, mais c’est tout juste comme pour vous, du côté de ceux que vous soutenez. Ne comptez pas sur leur reconnaissance au moment où éclatera la crise aiguë. Vous êtes officier, vous sortez de l’École navale, vous avez du savoir, de l’expérience, du « commandement. » Bon gré, mal gré, vous êtes un aristocrate et un « clérical. » L’envie exaspérée ne se satisfait pas si aisément que vous le pensez, ni surtout la passion pervertie de l’égalité. Aujourd’hui, on feint de ne reprocher à quelques-uns d’entre nous que leur supériorité de naissance et de condition sociale ; demain, on nous reprochera à tous celle du grade et de la fonction ; et puis ce sera le tour de l’intelligence, de l’instruction… Pour ces gens-là, l’ennemi c’est toujours le monsieur, le monsieur en redingote, si râpée qu’elle soit, cette redingote. Pour le sous-officier, ce sera, c’est déjà l’officier, le « galonard, » et, le jour où l’on me massacrera, vous courrez, croyez-moi, un mauvais bord.

— C’est bien possible, commandant. Malheureusement, personne n’y peut plus rien…

— Il faudrait voir ; et je ne m’accommode point du tout de ce fatalisme… Encore si de tout ceci pouvait résulter quelque bien réel et durable ? Mais vous le savez, instruit comme vous l’êtes, les révolutions n’aboutissent qu’à des substitutions de classes ou de personnes… Les maux restent et les abus ne font que se déplacer. Sans sortir de la marine, ne voyez-vous pas que ces « fils d’archevêques » contre qui l’on a tant clabaudé descendent tout droit des officiers bleus de 1791 ? Deux ou trois générations ont suffi pour créer des dynasties. Je ne vous donne que