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Le tunnel aurait été composé de deux parties égales d’une quinzaine de kilomètres chacune qui auraient toutes deux rejoint le banc sous-marin de Varnes, situé à peu près au milieu du détroit ; ce banc, dont la profondeur au-dessous de l’eau n’est que de 10 à 15 mètres, aurait été exhaussé par de puissans remblais et transformé en une grande île artificielle sur laquelle on aurait bâti une ville internationale avec un port de refuge situé à la fois entre les deux pays et les deux mers. Le tunnel devait donner passage aux malles-poste de l’époque. On aurait installé deux relais de chevaux sur son parcours ; on l’aurait éclairé avec les lanternes du temps. Mais on ne paraît pas s’être préoccupé d’une manière sérieuse de l’aérage qui est cependant une question de premier ordre dans tous les travaux souterrains ; et il est assez probable que si l’on avait pu exécuter ce tunnel, on se serait trouvé dans une obscurité presque complète et une atmosphère absolument viciée et irrespirable. On n’avait d’ailleurs que des notions très insuffisantes sur la nature géologique du fond du détroit ; nous en possédons aujourd’hui plusieurs milliers d’échantillons que nous avons pu recueillir méthodiquement à des profondeurs déterminées grâce à l’emploi d’appareils, de sondage admirablement perfectionnés et d’une manœuvre parfaite.

Le projet de l’ingénieur Mathieu séduisit cependant quelques instans l’imagination du Premier Consul ; mais, après quelques réflexions, il le mit de côté, estimant avec raison qu’il était au moins prématuré et qu’il contenait beaucoup d’inconnu. En somme, il ne fut pas jugé pratique ; on peut même dire qu’il ne fut pas pris très au sérieux. Mais l’idée était lancée ; les sondages et les relevés hydrographiques permirent bientôt de reconnaître que la perforation du seuil calcaire, qui sépare à une profondeur moyenne variant de 30 à 50 mètres le continent de son ancienne presqu’île, ne présentait pas une impossibilité absolue et ne pouvait être qu’une question d’outillage et d’argent ; ce n’était donc pas, comme on l’avait dit tout d’abord, une folie d’inventeur ou un rêve d’utopiste.

L’ingénieur Thomé de Gamond reprit avec courage l’idée première de l’ingénieur Mathieu ; et la mise au point d’un projet dont les lignes générales seules avaient été tracées et qui ne se présentait encore jusqu’à lui qu’à l’état de conception et de programme fut l’œuvre patiente et laborieuse de toute sa vie. Dans