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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/76

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du sultan, qui, en cas d’affaires urgentes ou d’incidens imprévus, les convoque à une heure quelconque du jour ou de la nuit.

Léger et impulsif, Moulay-abd-el-Aziz dédaigna la société permise de son hagib pour s’entourer de favoris, participant à ses distractions européennes. L’un d’eux, Si el-Mehdi-el-Menehbi, fut introduit parmi les vizirs, comme ministre de la Guerre ; et sa situation même auprès du sultan lui valut dans les conseils du gouvernement une prépondérante influence. Désormais, il n’est plus tenu compte du roulement traditionnel selon lequel tous les ministres étaient journellement appelés auprès du souverain : certains demeurent constamment aux côtés du prince et se trouvent mieux en mesure de faire prévaloir leurs avis ; d’autres ne reçoivent que des convocations intermittentes. Le grand vizir a perdu sa situation prédominante, et, peu à peu, tous les fils du gouvernement se sont rattachés entre les mains du favori. Les vizirs écartés ont pris des allures boudeuses, et, au lieu de se cantonner dans leur département spécial, ils recherchent, dans l’ensemble des affaires du makhzen, selon que leur intérêt les y pousse, le moyen de saisir la faveur souveraine... Sous le règne de Moulay-el-Hassan et la régence de Ba-Ahmed, il y avait donc un makhzen très fort, makhzen d’employés, appelés à servir une politique dont le sultan, puis le grand vizir, étaient les directeurs effectifs ; avec Moulay-abd-el-Aziz, s’est formé un makhzen très faible, makhzen de politiciens, intriguant les uns contre les autres.

Les intrigues présentes du makhzen sont fort délicates, et exigent d’infinis détours : il n’y a guère de chef d’Etat qui, par sa nature même, soit plus difficile à manier, pour ses ministres, que le sultan du Maroc. Si celui-ci ne peut se targuer d’un pouvoir absolu dans ses Etats, il le possède du moins dans son makhzen. Les événemens actuels ont abondamment démontré qu’au cas où les allures chérifiennes viennent à froisser le sentiment public, il suffit aux tribus d’y répondre par une agitation généralisée, développant dans tout le pays une force d’inertie latente, interrompant du coup la marche du gouvernement. En revanche, le personnel makzénien paraît désarmé à l’égard du souverain. Les croyances religieuses, spéciales au Maghreb, ne lui permettent point, comme dans le reste de l’Islam, de supprimer par la violence le chérif couronné ; d’autre part, l’incertitude