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Cette opinion se réveilla quelques années plus tard, et demanda l’évacuation de l’Égypte par les Anglais avec autant d’insistance qu’elle avait mis d’empressement à la leur céder. Mais, comme personne ne voulait un débarquement en Égypte et la guerre avec l’Angleterre, les Français en furent pour leurs cris. On leur disait, non sans raison, de l’autre côté du détroit : « Vous n’avez pas voulu être à la peine, vous ne pouvez être à l’honneur. » Sous le gouvernement libéral de Gladstone, les Anglais, effrayés des dépenses croissantes de l’empire, parlèrent un instant de se retirer d’Égypte, mais à la condition d’y rentrer quand bon leur semblerait. Il eût été sage de saisir au vol cette promesse, si imparfaite qu’elle fût. Mais l’opinion ne le permit pas. Aussi irritable et susceptible qu’elle s’était naguère montrée facile, elle réclamait l’évacuation complète et sans conditions. Ainsi, pour vouloir trop ou trop peu, les Français manquaient toutes les occasions. Ils semblaient toujours en deçà ou au-delà du but. Leur plus forte illusion fut de croire qu’on arrête les armées victorieuses avec des protocoles et des chiffons de papier. Les Anglais, voyant que nous n’armions pas et que nos plaintes n’éveillaient aucun écho en Europe, se fortifièrent dans leur nouvelle conquête, à peine déguisée sous le nom de tutelle. Devenus les seuls maîtres de cette belle contrée, ils n’avaient plus d’intérêt à la troubler ; leur domination fut beaucoup plus douce que celle qu’ils avaient exercée conjointement avec nous.

Il restait à notre diplomatie à défendre pied à pied les débris de notre influence et les institutions internationales. Elle aurait dû avoir toute l’Europe avec elle. Mais l’Europe était sourde et muette. Les puissances ne comprenaient point encore combien il leur importe que l’accès du canal soit libre. Un effort tenté en 1888 pour assurer d’une manière efficace la neutralité de ce canal n’aboutit qu’à de vaines déclarations. La France était donc seule, une fois de plus, en face de l’Angleterre toute-puissante. Nos agens ne se découragèrent pas. L’œuvre patiente qu’ils poursuivirent sur place fut beaucoup plus profitable à notre pays que tous les emportemens de la presse. On nous accusait de faire, en Égypte, une politique tracassière, d’entraver la marche des finances : mais cette campagne financière ouvrait la voie aux accommodemens futurs. Il y a ainsi, dans chacun de nos services publics, une armée de fourmis laborieuses qui travaille sans cesse à réparer les fautes du gouvernement.