mot de Napoléon Ier : Grattez un peu le Russe et vous trouvez le Scythe. » Il revint aussi sur la campagne polonaise : « Si l’Empereur ne s’était pas lancé dans cette affaire, notre alliance n’aurait pu être rompue, et vous auriez aujourd’hui la frontière du Rhin. » Il insinua que rien n’était définitivement perdu, et que les rapports amicaux pourraient être repris si on voulait faciliter la politique russe en Orient. Il le pria de lui ménager une conversation confidentielle avec l’Empereur. Le soir même, Lebœuf s’échappa et alla raconter ce qui lui avait été confié. L’entrevue eut lieu, mais elle ne fut pas confidentielle. Elle se passa comme celles de Biarritz avec Bismarck. Gortchakof débuta d’un ton solennel : « Ce voyage, Sire, sera un événement… » Il parla beaucoup ; l’Empereur écouta, et, ne donnant pas d’encouragement à des ouvertures précises, la conversation tourna court. Depuis le service que les Anglais lui avaient rendu, en couvrant d’une couleur honorable sa reculade dans l’affaire du Luxembourg, il était plus attentif que jamais à ne pas les froisser, et il savait qu’un rapprochement avec la Russie, au prix qu’elle y mettait, leur serait le plus sensible des froissemens : ce sentiment de fidélité envers l’allié de Crimée l’empêcha de provoquer les suggestions de Gortchakof et de sortir des généralités.
Déçu de ce côté, Gortchakof ne fut pas plus heureux auprès de Rouher. S’étant rendu dans son cabinet pour causer, il y trouva huit ou dix personnes : ce que Rouher expliqua par le désir naturel de ses collègues de voir de près un homme illustre, qui n’allait pas dans le monde et n’était d’aucune fête. Aussi Gortchakof emporta-t-il l’opinion que, si le ministre d’Etat était un économiste distingué, un brillant orateur, c’était un homme politique au-dessous de sa position.
Les Prussiens aux aguets suivaient pas à pas les moindres démarches russes. Personne, hélas ! ne songeait à tromper leur surveillance policière. Le Tsar n’eut pas plus que son ministre d’entretien approfondi. On l’accabla de prévenances, mais on évita toute conversation sérieuse. A son premier dîner aux Tuileries, il annonça qu’il arriverait de bonne heure parce qu’il voulait causer avec l’Empereur. A peine introduit dans le cabinet de Napoléon III, il vit entrer l’Impératrice, et la conversation s’éparpilla en banalités. Il renonça à de nouvelles tentatives. Cela commença à l’assombrir.