ni le français ni l’anglais. Sa table était bien servie : sa maison, quoiqu’un peu trop neuve et un peu trop riche, formait un merveilleux ensemble de céramiques multicolores, de plâtres fouillés et de boiseries peintes. Mais le Maroc était peu propice à cette ivresse d’innovations… Si l’on avait peu agi, on avait beaucoup parlé, et le bruit fit apparaître Bou-Hamara dans les montagnes berbères. Rappelé à la réalité et à ses fonctions austères de ministre de la Guerre, Si el-Mehdi paya bravement de sa personne ; il fit preuve de courage et d’énergie, entraîna sa mahalla récalcitrante à travers le Djebel ; mais sa chance première l’avait abandonné ; sa fortune s’enliza avec l’insuccès prolongé[1].
Si Abdelkérim-ben-Sliman a dépassé la cinquantaine, si bien que son âge, son passé et ses traditions le préservaient des aventures. Le résultat de son ambassade à Paris lut la conclusion du protocole du 20 juillet 1901, augmenté par les accords complémentaires des 20 avril et 7 mai 1902, qui fixèrent définitivement la frontière entre l’Algérie et le Maroc, afin d’y prévenir toute cause future de conflit : l’opinion française y vit, à juste titre, un premier essai de coopération franco-marocaine et l’inauguration d’une politique nouvelle de pénétration pacifique au Maroc. De son côté. Si Abdelkérim espérait sans doute avoir constitué un tampon efficace, à la faveur duquel le Maroc pourrait se défendre contre la rapide transformation européenne, préconisée par la diplomatie anglaise et procéder, par ses seules forces et selon ses propres traditions, aux réformes nécessaires. Si Abdelkérim a rapporté de son voyage une sympathie réelle pour notre pays et nos idées. Il prétend même que son court séjour en France l’a imprégné des principes de la Révolution, autant qu’ils étaient compatibles avec son double caractère de Marocain et de musulman. L’idée d’égalité aurait fait de lui le plus ardent propagateur du Tertib, qui cherchait à unifier le Maroc par l’abolition de privilèges séculaires ; et, malgré son goût conservateur, il a toujours
- ↑ Quand, à la fin d le makhzen, arrêté, depuis plusieurs mois, devant la montagne des Tsoui, dut reprendre piteusement la route de Fez, ce fut, parmi les vizirs, un toile d’indignation contre Si el-Medhi, rendu responsable de tous les embarras de l’État. Le sultan lui-même parut abandonner son favori, qui, découragé, sollicita l’autorisation d’entreprendre le pèlerinage de La Mecque. Si el-Mehdi a quitté Tanger dans la seconde quinzaine de décembre, traversant toute la Méditerranée pour se rendre aux villes saintes de l’Arabie. On assure qu’il vient d’être rappelé au Maroc par ordre chérifien.