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LES ÉPOQUES DE LA MUSIQUE.

connaissent ou savent la musique deux fois, par la science et par le sentiment, a résolu de rendre aux maîtres français du XVIe siècle l’hommage qu’ils méritent et qu’ils attendaient. La magnifique publication de M. Henry Expert consacre pour la première fois et pour toujours une grande époque de notre art national. Elle nous apprend qu’au génie religieux et profane de ce temps, rien d’humain et presque rien non plus de divin ne fut étranger. Les textes musicaux en témoignent par des beautés que peut-être on croyait moins variées et surtout moins vivantes. Quant aux textes littéraires (commentaires, introductions, épîtres dédicatoires ou préfaces) ils révèlent ou rappellent des principes, ils respirent un esprit qui fut celui de la Grèce antique, et que la France la première, avant l’Italie même, a ranimé et fait sien. Ainsi, par la doctrine et par les œuvres, notre XVIe siècle musical commence à nous apparaître deux fois glorieux.


I

Quand on parle de la Renaissance de la musique, il faut s’entendre. Dans l’histoire de la musique et dans celle des autres arts, le mot de Renaissance a sans doute la même signification, et des causes pareilles produisirent de semblables résultats. Mais, en musique, l’effet a tardé davantage et ce n’est guère avant les toutes premières années du XVIIe siècle que l’esprit nouveau se manifesta tout entier. Le chef-d’œuvre intégral en fut l’opéra florentin. Inspirées par les doctrines néo-helléniques de la « Camerata » de Bardi et conçues dans la forme monodique ou récitative qui succédait à la polyphonie, les « nuove musiche » réunirent pour la première fois les deux élémens essentiels de la Renaissance : le goût de l’individualisme et l’imitation de l’antiquité. Le premier de ces caractères manque aux productions du XVIe siècle français. Profane ou sacrée, notre musique d’alors demeure polyphone. Elle garde la trace du génie complexe ou social qui fut celui du moyen âge et que bientôt, en Italie d’abord, le génie plus personnel de la Renaissance allait remplacer.

Quelquefois, il est vrai, cette polyphonie commence à s’alléger et à s’éclaircir. Elle laisse éclore au-dessus d’elle une mélodie véritable, qu’on pourrait isoler, et que les autres parties ne feraient plus alors qu’accompagner : non pas encore un air, mais un chant ou même, — car nous sommes en France — une