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LES ÉPOQUES DE LA MUSIQUE.

En un siècle où tous nos poètes étaient musiciens, il fut le plus musicien de nos poètes. Il le fut par l’intelligence et par l’amour, sinon par la pratique de l’art. « Je chante, a-t-il dit,


Je chante quelquefois,
Mais c’est bien rarement, car j’ai mauvaise voix.


Du moins lui plaisait-il fort d’être chanté. Même il n’écrivait de vers que pour qu’on les chantât. La perfection du lyrisme, autrement dit l’alliance étroite et nécessaire de la musique et de la poésie, tel est le principe et comme le postulat qui domine et résume la poétique de Ronsard.

Rendant hommage lui-même à la musicalité de son œuvre, il se vante


De marier les odes à la lyre
Et de savoir sur ses cordes élire
Quelle chanson y peut bien accorder
Et quel fredon ne s’y peut encorder.


Cette lyre, il n’en parlait pas, comme tant d’autres poètes, par figure. Il en voulait rétablir effectivement l’usage, estimant qu’elle « seule doit et peut animer les vers et leur donner le juste poids de leur gravité. » S’adresse-t-il au lecteur, et surtout au disciple, « Garde, lui dit Ronsard, garde toujours le plus que tu pourras une bonne cadence de vers pour la musique et autres instrumens. Je te veux aussi bien advertir de hautement prononcer tes vers quand tu les feras, ou plutôt les chanter, quelque voix que tu puisses avoir, car cela est bien une des principales parties que tu dois le plus curieusement observer. » De même, telle facture ou telle coupe lui paraît la meilleure, « pour être plus propre à la musique et accord des instrumens, en faveur desquels il semble que la poésie soit née. » Ainsi l’Abrégé de l’art poétique français est un traité de musique autant que de poésie, et constamment, à des préceptes de poète, Ronsard mêle des conseils de musicien.

Alors, entre les deux arts fraternels, c’était un continuel échange de services ou de bienfaits. Les musiciens, et jusqu’aux éditeurs de musique, demandaient des préfaces aux poètes. En tête de deux volumes publiés par Ballard et Le Roy, Ronsard écrivait un jour, sous forme de lettre dédicace à François II, puis à Charles IX, un éloge de la musique, digne par les idées et par