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ou de ses affidés. Il exige en outre la révocation du gouverneur de Tanger, et enfin sa nomination à des fonctions publiques. On voit qu’Erraissouli est un bandit de grande allure : on aurait tort de le confondre avec un simple coureur de grands chemins. Le gouvernement des États-Unis devait se préoccuper, s’émouvoir même de la situation de ses deux nationaux ; mais a-t-il pris le meilleur moyen de la dénouer ? Il a envoyé successivement plusieurs navires, presque une escadre devant Tanger, soit qu’il se crût encore au temps où les démonstrations de ce genre produisaient un effet considérable et immédiat sur les gouvernemens barbaresques, soit qu’il ait voulu profiter de l’occasion pour déployer sa force navale devant l’Europe, genre de préoccupation auquel il ne semble pas être tout à fait étranger. Si c’est à l’Europe que les États-Unis ont voulu donner l’impression de leur puissance, cela n’était peut-être pas très utile, car leur puissance est parfaitement connue et appréciée à sa haute valeur. Si c’est sur le gouvernement marocain qu’ils se sont proposé d’exercer une sorte d’intimidation, cela était plus mutile encore. Il n’y a pas à douter des bonnes dispositions du Makhzen. Son intérêt est de clore l’incident le plus vite possible à la satisfaction de l’Amérique ; mais il ne peut pas grand’chose contre Erraissouli dans l’état de désorganisation où est l’empire. Les forces militaires dont dispose l’amiral américain peuvent encore moins. Comme il ne saurait être question de bombarder un point de la côte, car les villes sont remplies d’Européens et le reste du pays serait insensible à quelques coups de canon, on ne voit pas à quoi peut servir la démonstration des États-Unis.

L’amiral américain s’est adressé à nous d’une manière amicale et correcte, et nous a demandé nos bons offices auprès du gouvernement marocain : c’était reconnaître la situation privilégiée que nous avons entendu prendre. Malheureusement nous ne l’avons pas encore, et nous ne pourrons l’avoir que dans quelque temps. Nos moyens d’action n’étaient pourtant pas tout à fait nuls. Nous avons envoyé à Erraissouli le schérif d’Ouezzan, notre protégé, qui paraissait en mesure d’exercer sur lui quelque influence, et nous avons agi d’autre part sur le gouvernement marocain pour qu’il mît toute la bonne volonté et toute l’activité possibles à dénouer une situation qui ne pourrait que s’aggraver en se prolongeant. Il fallait en sortir un peu à tout prix, et sacrifier, si on ne pouvait pas faire autrement, le présent à l’avenir.

On a vu assez vite qu’Erraissouli, en opérant son coup de main, en avait assez bien mesuré les suites. Le gouvernement chérifien