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On célébrera notre lutte corps à corps,
On célébrera notre combat.
Il en sera parlé en Fer-Brot,
On en racontera l’histoire en Fer-Manach.
Les héros vont voir le lion du furieux combat,
Les cadavres sur les cadavres, dans le château, cette nuit.


Après cet échange de complimens, ce salut des épées, en quelque sorte, l’attaque et la riposte s’engagent :


— Lève-toi donc et cède-moi la place, dit Conall.

— Qui te donne ce droit ? répondit Cêt.

— Tu as le droit, dit Conall, de ne pas me céder sans combat. Cêt, j’accepte de lutter avec toi. J’en jure le serment que jure mon peuple : depuis le premier jour que j’ai tenu un javelot dans la main, il ne m’est pas souvent arrivé de dormir sans avoir, pour reposer ma tête, la tête d’un homme de Connaught. Il ne s’est point passé un seul jour, une seule nuit, que je n’aie tué quelque ennemi.

— C’est vrai, dit Cêt, tu es un meilleur guerrier que moi. Mais, si Anlûan était dans ce château, lui, du moins, pourrait lutter contre toi. Quel malheur qu’il ne soit pas ici !

— Il y est, dit Conall[1].


Où donc ? On n’a pas eu le temps de se poser la question que, joignant le geste à la parole, le terrible Triomphateur exhibe à son poing une tête fraîchement coupée qu’il portait suspendue par les cheveux à sa ceinture. Et, la faisant tourner comme une fronde, il l’envoie frapper en pleine poitrine le champion de Connaught, dont la bouche ne se rouvre plus que pour vomir des flots de sang. La tête est celle d’Anlûan, que l’Ulate s’était arrêté à cueillir en route : d’où son retard au rendez-vous.

Voilà, ce me semble, un coup de théâtre que notre drame romantique eût pu envier au vieux poète irlandais. Celui-ci s’est manifestement appliqué à en tirer tout le parti possible, et l’on ne voit pas qu’il y ait si mal réussi. On dirait qu’un secret instinct d’art l’a de même averti qu’après cette fin de scène, d’une barbarie si grandiose, les suites de l’aventure, en se prolongeant, couraient le risque de n’offrir plus qu’un médiocre intérêt. Il les conte avec une hâte visible, et comme par pure déférence envers la convention qui veut qu’à toute histoire il y ait un dénouement. Nous apprenons ainsi coup sur coup comment Conall, demeuré maître de faire les parts, ne manqua pas de s’adjuger la queue

  1. H. d’Arbois de Jubainville, l’Épopée celtique en Irlande, p. 76-77.