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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/106

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KULHWCH : — Jeune fille, c’est bien toi que j’aimais ! Tu viendras avec moi pour nous épargner un péché à toi et à moi. Il y a longtemps que je t’aime !

OLWEN. — Je ne le puis en aucune façon : mon père m’a fait donner ma foi que je ne m’en irais pas sans son aveu, car il ne doit vivre que jusqu’au moment où je m’en irai avec un mari. Ce qui est, est ; cependant je puis te donner un conseil, si tu veux t’y prêter. Va me demander à mon père ; tout ce qu’il te signifiera de lui procurer, promets qu’il l’aura, et tu m’auras moi-même. Si tu le contraries en quoi que ce soit, tu ne m’auras jamais, et tu pourras t’estimer heureux si tu t’échappes la vie sauve.

KULHWCH. — Je lui promettrai tout, et j’aurai tout.


Il le fait comme il l’a dit. Au prix de quels travaux et de quelles épreuves, c’est ce qu’il faut voir dans les Mabinogion. On se convaincra par la même occasion que, si je n’avais dû me borner, j’aurais pu puiser, dans ce seul récit, une dizaine d’autres exemples aussi probans pour ma thèse. Parlons mieux : tout le récit n’est proprement qu’une sorte de conte dramatique où le conteur s’efface, disparaît presque, pour laisser vivre, agir, converser devant nous les personnages. S’il est vrai que l’épopée gaélique remplit, en quelque sorte, l’office d’un théâtre dans les dûn irlandais, on peut dire qu’il en fut de même des Mabinogion pour les cours galloises. Ils font penser à des ébauches de tragédies romanesques qui seraient demeurées par endroits à l’état de scénarios.

C’est aussi, toutes proportions gardées, l’impression que donnent, dans la littérature armoricaine, les courts chants épiques, d’inspiration non plus savante, mais populaire, désignés sous le nom de gwerziou. Déjà, lors de l’apparition du Barzaz-Breiz, Ch. Magnin comparait certaines ballades de ce livre à de « petites tragédies pleines de poésie et d’entrain, » à des « scènes vraiment touchantes et très dramatiquement conduites[1]. » On pourrait, je le sais, objecter aujourd’hui que l’art de l’adaptateur y était sans doute pour quelque chose. Sous couleur de nous présenter un tableau complet de l’ « histoire poétique » de la Bretagne, le Barzaz-Breiz nous donne surtout la mesure du très ingénieux talent du vicomte de la Villemarqué soit à redresser les écarts de la muse armoricaine, soit à lui prêter ses propres inventions.

Mais Ch. Magnin aurait connu les chants authentiques de la race, tels qu’ils sont réunis dans les Gwerziou Breiz-Izel, qu’il

  1. Journal des Savans, août 1847.