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de Guingamp, se présente au manoir des Le Judec. Démarche peu charitable, dont, s’il n’eût dépendu que de lui, il eût sans doute préféré se dispenser. Mais il cède à une volonté impérieuse, devant laquelle il a toujours tremblé, celle de sa mère. C’est elle, c’est cette mère qui, par orgueil, a exigé que son fils, au mépris du serment juré, fût prêtre ; c’est elle qui, par orgueil encore, exige qu’il fasse aux parens de la jeune fille qu’il a trompée la politesse insolente de les inviter à sa première messe. Outre qu’il est d’usage de convoquer le plus de monde possible à ce genre de cérémonie, elle estime évidemment que son triomphe ne serait pas complet, s’il n’avait le clan des Le Judec pour témoin. Et cela, notons-le en passant, est d’une observation, sinon très humaine, en tout cas très bretonne, comme aussi le caractère faible, timoré, de l’homme, en contraste si formel avec la sauvage énergie de la mère ou la hautaine force d’âme de la fiancée. Le poète populaire a vu combien ses compatriotes sont des êtres indécis et flottans, livrés à la domination de la femme, qui est vraiment, dans cette race, le sexe fort, le sexe qui sait vouloir. Philippe Ollivier franchit donc, la mine honteuse, le seuil où naguère encore, dès que ses vacances de clerc le ramenaient au pays, il accourait le cœur si joyeux.


— Bonjour et joie à tous, en cette maison !
Le vieux Le Judec, où est-il ?


Il a soin de spécifier que c’est au père qu’il en a, tant il redoute de se retrouver en présence de la fille. Et nous entendons le vieux Le Judec qui réplique, courroucé :


— Que cherches-tu autour de ma maison
Si tu ne comptes pas te marier ?
— Vieux Le Judec, je vous convie
A venir à ma première messe,
A y venir (vous et les vôtres) le plus possible…
Il n’y a que votre fille Jeanne que j’excepte.


Mais Jeanne est aux écoutes dans quelque coin sombre de la vaste cuisine ; et, dressée brusquement en face du parjure, elle déclare, d’un ton résolu, dont l’ironie ne fait qu’accentuer l’amertume :


Le trouve mauvais qui voudra,
Je serai à votre première messe ;
Et j’y verserai à l’offrande quatre pistoles,
Plus une douzaine de mouchoirs.