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M. Henry Bataille s’est contenté de l’aller cueillir dans un autre passage des Gwerziou. Mais, entrons dans l’analyse de la pièce.

Elle s’ouvre, comme la gwerz, par la scène où le jeune homme, trop pressé, au gré de ses parens, de prendre femme, leur fait l’aveu de sa passion pour Aliette Tili. Refus des vieux de lui laisser épouser une lépreuse. Révolte d’Ervoanik qui proteste qu’en déclarant Aliette atteinte du mauvais mal, son père en a menti. Il va jusqu’à le maudire, jusqu’à maudire sa mère elle-même. Puis, aussi vite, épouvanté de son propre égarement, il s’agenouille, il demande pardon. Pour expier sa faute, il fait vœu de se rendre nu-pieds à Notre-Dame du Folgoat. Mais, auparavant, c’est le moins qu’il prévienne Aliette, à qui il a donné rendez-vous et qui attend, dans l’angoisse, de connaître le résultat de l’entrevue. Il ne lui en dit naturellement que l’essentiel, et qu’il l’aime plus que jamais, et qu’il l’épousera coûte que coûte. Et Aliette, sinon rassurée tout à fait, du moins à demi consolée, décide que, puisqu’il part pour le Folgoat, eh bien ! ils s’y rendront ensemble.

Au deuxième acte, nous sommes dans la chaumière de la vieille Tili, la mère d’Aliette. On sait comme la gwerz est, à cet endroit, hésitante, heurtée, pleine de lacunes. Très ingénieusement M. Henry Bataille en a corrigé les incertitudes et interprété les silences. De la vieille lépreuse, dont le caractère n’est qu’indiqué dans la chanson, il fait une ennemie du genre humain, « une sorte d’ogresse qui attire chez elle les petits enfans et leur offre des tartines pour leur donner son mal, et qui a lancé sa jolie fille sur tout le pays comme un émissaire de sa haine inexpiable. » Elle accueille Ervoanik avec une joie hypocrite ; elle s’empresse autour de lui, elle le choie, et, tout en lui vantant sa fille, moins comme une mère que comme une entremetteuse, elle l’incite à boire tant et si bien que, les fumées de l’ivresse s’ajoutant aux fatigues de la route, il finit par s’endormir le front sur la table, cependant que la vieille descend à la cave puiser un nouveau pichet. Et voici qu’Aliette, à regarder reposer près d’elle ce beau gars de race si saine, se sent prise pour lui d’une compassion douloureuse, à la pensée que « cette fleur des hommes » est vouée à se flétrir sous son baiser fatal. Déjà elle a aimé « dix-huit innocens, et elle leur a donné la lèpre à tous. » Celui-ci, qu’elle aime comme elle n’a jamais aimé aucun des