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d’artifice) que le traducteur ait bien compris[1]. » On ne saurait mieux dire, hormis que la pièce n’a pas seulement l’air d’être une traduction, car, dans maint passage, elle en est une en effet. Non content de reproduire la marche et le mouvement du chant populaire, sauf à en raffermir l’allure parfois désordonnée, non content de respecter scrupuleusement les caractères, M. Henry Bataille s’est attaché par surcroît à conserver jusque dans le rythme même de son style la cadence de la version française de Luzel, calquée presque mot à mot sur les vers bretons. « La forme est très spéciale, dit encore M. Jules Lemaître : ce ne sont pas des vers, et ce n’est pas non plus de la prose. Ce ne sont pas des vers à la façon des poètes symbolistes, puisque l’assonance même en est absente ou n’y parait que de loin en loin. C’est de la prose librement et secrètement rythmée ; des séries de phrases ou de membres de phrase sensiblement égaux. La symétrie y est un peu de même nature, si vous voulez, que dans la versification des langues sémitiques (mais je puis me tromper, n’étant pas grand clerc en ces matières). » L’éminent critique se trompe, en effet, mais seulement d’une épithète : au lieu de « sémitiques, » mettez « celtiques, » et la remarque est justifiée. Ecoutez plutôt ce fragment de dialogue : Ervoanik confie à ses parens le rêve qu’il a fait d’épouser Aliette.


Mon père et ma mère, si vous êtes contens,
J’épouserai une jolie fille.
MARIA. — Vous êtes bien jeune et nous pas très vieux.
Et quel est le nom de votre petit cœur ?
ERVOANIK. — Vous la connaissez,
Nous avons dansé en rond avec elle
Plus d’une fois sur l’aire.
MATELINN. — Comment nommez-vous votre amie ?
ERVOANIK. — C’est la plus belle fille qui jamais
Porta coiffe de lin…
Et elle a le nom d’Aliette…
MARIA. — Non, en vérité, vous ne l’épouserez point.
Car on le reprocherait à vous et à nous[2].


Les passages que j’ai soulignés sont extraits textuellement des Gwerziou. Mais ne jurerait-on pas que les autres le sont aussi, tant ils sont bien dans la manière et le ton général de la

  1. Impressions de théâtre, t. X, p. 361-362.
  2. La Lépreuse, p. 15-17. Cf. Gwerziou Breiz Izel, t.. I, p. 253, I. 25 ; p. 255, I. 5.