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mesure est fort large, en effet, trop large même, peut-être ; et ce serait une raison de plus pour ne pas nous donner une statistique grâce à laquelle il n’est plus possible de l’évaluer avec quelque rigueur.

Il faudrait donc d’abord réparer des omissions et redresser une partialité inadmissible, si l’on veut, s’élevant au-dessus de la simple utilité, faire parler cette nomenclature, essayer d’en pénétrer la signification.


Car un tel inventaire présente un intérêt d’ordre plus spéculatif et soulève des questions où l’histoire littéraire est intéressée. D’abord, le choix même des œuvres ou leur exclusion implique une difficulté. Que faut-il entendre par roman historique ? Il est bien délicat de déterminer les limites du genre, — si même le roman historique est un genre, — et l’on ne sait pas toujours ni où il commence ni où il finit. M. Nield en propose cette définition : « Un roman devient historique si l’on y introduit des dates, des personnages ou des événemens qu’on puisse identifier sans hésitation. » Et tout aussitôt il ajoute : « Le roman historique existe d’abord comme fiction. » Pour qu’il y ait roman historique, il faut d’abord qu’il y ait roman. Rien de plus juste. En deçà de cette définition restent donc les œuvres qui se rattachent plutôt à l’histoire qu’au roman, romans didactiques, si l’on peut dire, où la fiction est réduite au minimum et qui ne sont guère plus que des livres scolaires : le Chariclès et le Gallus, de Becker ; Preston Fight et Guy Fawkes, d’Ainsworth ; Thornsdale, de William Smith. Peut-être pourrions-nous donner une idée de ce genre dans notre littérature avec le Voyage du jeune Anacharsis en Grèce, de l’abbé Barthélémy. L’auteur, avec raison, ne les mentionne point. — Mais, d’autre part, s’il faut que le roman historique soit un roman, il faut aussi qu’il se rattache à l’histoire ; et voici que, dès lors, au-delà de la définition s’étend le champ des romans semi-historiques, comme la Lettre Rouge, de Hawthorne (Scarlet Letter) ; Taras Bulba, de Gogol ; Adam Bede, de George Eliot ; ou Le capitaine Fracasse, de Théophile Gautier. Beaucoup de romans de Walter Scott sont dans ce cas, parmi lesquels, pour ne citer que les plus populaires, la Fiancée de Lammermoor, Guy Mannering et l’Antiquaire. M. Nield consacre une « liste supplémentaire » à ces livres où, sans que les personnages ni les événemens soient historiques, la couleur générale d’une époque est fidèlement rendue. On ne peut se défendre de la trouver singulièrement fantaisiste. Pourquoi comprend-elle, de George Sand, Consuelo et non Mauprat ; les Maîtres mosaïstes et non les Beaux Messieurs de Bois-Doré ?