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France, il osa se vanter que sa conduite ministérielle avait eu pour but d’accélérer le moment de la Révolution. On ne le connaissait pas sous cet horrible rapport ; mais sa réputation usurpée s’éclipsa moins d’un mois après son entrée au ministère, et les fautes, ou pour mieux dire les inepties qu’il entassa les unes sur les autres, en firent bientôt l’objet de la haine et du mépris de tout le monde.

Marie-Antoinette fut détrompée plus tard que les autres. L’estime qu’elle était accoutumée à avoir pour lui et les discours de l’abbé de Vermont prolongèrent son aveuglement. Lorsque enfin le bandeau fut tombé de ses yeux, elle éprouva de cruels combats : d’une part, elle ne pouvait plus douter de l’incapacité du ministre ; de l’autre, indépendamment d’un sentiment de fierté qui la portait à soutenir son ouvrage, elle sentait, et l’exemple de l’effet qu’avait produit la disgrâce de M. de Calonne le lui prouvait, combien il était dangereux, pour l’autorité du Roi, de choisir et de déplacer ses ministres au gré du souffle populaire, comme l’appelle Horace. A la fin cependant, le mal présent l’emporta sur le danger futur et l’archevêque fut congédié, mais avec toutes les marques d’estime possibles : on fit ce qu’on put pour persuader que sa retraite avait été volontaire, et quoique, trois ans auparavant, à l’occasion de l’affaire du cardinal de Rohan dans laquelle le Pape avait eu l’air de vouloir s’entremettre, le Roi eût déclaré qu’il ne voulait plus que ses sujets acceptassent le chapeau de cardinal, ce prince en demanda un pour l’archevêque, et l’on pense bien qu’il l’obtint aussitôt.

Une aussi grande grâce, accordée à un homme qui la méritait aussi peu, ne pouvait produire qu’un très mauvais effet. Cependant, je répéterai à ce sujet ce que j’ai dit à l’occasion de la société de la duchesse de Polignac : Marie-Antoinette fut égarée par un sentiment exagéré, mais noble. En perdant l’estime qu’elle avait eue pour les talens de l’archevêque, elle ne cessa point d’estimer la personne ; elle vit en lui un homme qui, pour avoir voulu servir le Roi dans une crise qui aurait exigé les talens réunis d’un Sully et d’un Richelieu, avait perdu une très belle existence ; et elle crut qu’il était juste et d’une bonne politique de l’en dédommager par une grande preuve de la satisfaction que le Roi avait de son zèle.

Cette erreur était excusable. L’autorité royale était, il est vrai, minée de tous les côtés ; mais le fantôme en existait encore, et