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les voit quelques minutes sur le terrain, c’est-à-dire généralement dans la cour de la caserne, et, ceci fait, elle dresse un classement par ordre de mérite. Ce sera là le « tableau d’avancement » où le colonel puisera, par numéro d’ordre, pour nommer les caporaux dont il aura besoin, c’est-à-dire les futurs sous-officiers. Puis le « peloton d’instruction » est dissous. Les élèves rentrent à leur compagnie, où, du reste, ils s’empressent d’oublier plus ou moins les matières de cet enseignement hâtif qu’ils ont entassées sans se les assimiler, de sorte que, trois ou quatre mois plus tard, lorsque leur nomination arrive, ils n’ont même plus l’avantage de ce bagage théorique, dû presque en entier à la mémoire.

Telles sont les conditions générales où s’opère le recrutement de nos caporaux, — appelés à être plus tard sous-officiers, — dans presque tous les corps de troupe. Je ne crois pas qu’on puisse rien imaginer de plus illogique, de plus contraire au bon sens comme au « bien du service. »

Réfléchissons un instant au rôle du sous-officier, et aux conditions qu’il doit satisfaire pour le bien remplir.

Le sous-officier, avant tout, doit commander. Il est en contact direct et journalier avec des natures souvent rudes et grossières, toujours frustes et incultes, auxquelles il faut qu’il impose son autorité. Pour celles-ci le principe primordial et naturel de l’autorité c’est la force, la vigueur physique, la voix claire, le geste net, le regard droit : la question physique a ici une importance capitale. Un individu ou chétif ou trop menu, trop joli, trop rose, sera sans autorité réelle sur ses hommes, il manquera du prestige de la force, il ne commandera pas. Viennent les épreuves des marches ou des manœuvres, fatigué, souffrant, misérable, il sera à la remorque de deux ou trois « lascars » plus solidement bâtis que lui dans sa section. Mais s’il est utile que le sous-officier soit vigoureux parmi les plus vigoureux de sa troupe, il est plus indispensable encore qu’il soit hardi, qu’il ait de l’aplomb, du caractère. La timidité et la douceur accompagnent très souvent la grande force physique. Il faut s’en méfier. L’homme timide, qui rougit et balbutie facilement, qui s’effraye du moindre obstacle, et ne sait pas encourir une responsabilité ne sera qu’un porte-galons sans valeur. Celui qui est trop doux et de cœur trop sensible, qui s’émeut trop facilement des misères ou des souffrances qui