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rédactions, comme pour les romances du Cid. Celle que je vous envoie est l’une des plus bêtes. Dans une autre, il est dit :


Napoléon aimait la guerre
Et son peuple comme Jésus.


On crie cela dans les rues ; on vend deux liards ou un sou, avec autorisation de la police, ces élémens de la religion et de la civilisation future. Napoléon, cette âme grande et bonne, a dit Hugo, qui s’en vante ! Et voilà où nous ont menés sur le grand homme les ampoules de Hugo, les niaiseries de Mignet, les fourberies de Thiers et les patelinages de Béranger.

Le Delâtre est décidément passé à la folie ; il vient de m’écrire la lettre ci-jointe que vous pourrez montrer à MM. Monnard, Forel, et à ceux qui s’intéressent à lui. C’est ainsi qu’il répond à des notes, obligeantes et indulgentes après tout, de la Revue de Paris et des Deux Mondes. Je lui ai répondu d’importance en le remettant à sa place. Je ne le reverrai ni ne l’écouterai plus.

Revenons aux choses aimables, chère Madame ; vous m’en dites de bien douces et qui me font croire qu’au moment même où vous vous tournez vers Martheray, je monte en longeant le mur, pour ne pas être vu et avoir le plaisir de vous surprendre. Que ce serait pour moi un délicieux moment ! Vous ne sauriez croire (avec vos doutes de cœur) combien je parle vrai en disant ainsi. Mais, hélas ! il faut finir mon volume de Port-Royal pour décembre sans faute : ai-je une minute à moi d’ici là ? Et puis mes vacances ne commencent qu’au 1er août.

Je n’accepte pas tous les complimens sur le personnage littéraire que vous me supposez : sans doute je ne ferai pas, j’espère bien, les bêtises des autres, mais il est à craindre que je ne fasse rien. La puissance, ils l’ont, ils en abusent ; je ne l’ai pas, de là plus de clairvoyance et de sobriété. Votre affection fait le reste. Minerve frappait Ulysse de son rameau d’or et le rendait pareil à un jeune homme ou à un Dieu. Toute sage Minerve qu’on est, et avec le sévère profil de la déesse, on est capable de ces métamorphoses-là, pour peu qu’on y mette affection et faveur. Mais je profite avec joie et orgueil de cette faveur, chère Madame, ne me la retirez pas.

J’offre tous mes respectueux souvenirs à vos bons parens d’Eysins et à ceux d’Aigle : M. Ruchet, pourtant, en qualité de conseiller d’Etat, doit toujours résider à Lausanne, n’est-ce pas ?