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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/422

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majoliques qu’il surveillait lui-même, sous le pic du Gorbio où le batailleur Jean des Bandes Noires avait son repaire. Cet isolement besogneux acoquinait partout Lorenzino aux gamins du populaire ; il y contractait de la sympathie pour les gens de cette condition ; il s’accoutumait à les séduire pour les dominer ; et par ailleurs, on lui soufflait qu’il était un Soderini plutôt qu’un Médicis, c’est-à-dire un prince de la plèbe ; ou, si on lui faisait l’éloge de quelqu’un de ces Médicis, c’était de son grand-père Laurent et de Jean, tous deux amis des Français et républicains, le premier artiste véritable, le second ambitieux hardi, qui ne regardait pas à poignarder les siens. L’enfant n’oubliait rien de ce qu’il entendait ou voyait, et il y réfléchissait en silence. A l’âge de cinq ans, il savait déjà assez bien écrire ; deux ans après, il débitait force vers de Virgile et disait : « Je sais par cœur tout le premier livre de Théodore, et il me semble que je l’entends. » Théodore était le grammairien Théodore Gaza. Lorenzino étudiait aussi le grec. Quand il eut dix ans, on adjoignit à Zeffi un second précepteur, qui le bourra de connaissances toujours plus ardues dans les sciences et dans les humanités.

Il était dans sa onzième année, lorsque son père mourut (fin août 1525), laissant ses affaires embrouillées et pendantes et, par testament, ordonnant qu’on lui fît dire à perpétuité tant et de si belles messes que son peu d’avoir n’eût pas suffi à couvrir les frais des premières années de ce grand deuil. Le terrible Jean des Bandes Noires, nonobstant un procès de 30 000 écus qu’il avait avec le défunt, prit la tutelle de ses orphelins. Il supprima des messes et des honneurs funèbres presque tout. Un bâtard des Médicis était pape, Clément VII ; il assura la veuve de sa protection, qui ne fut ni efficace ni libérale. Ainsi Lorenzino se trouva le chef d’une maison ruinée et impuissante, sous un tuteur qui ne visait qu’à le déposséder de son reste en litige. Dès cette époque, la jalousie n’allait plus cesser de mordre Lorenzino au cœur, et de l’exciter à quelque heureuse violence, capable de le porter, lui Médicis ; légitime, aux sommets occupés par les bâtards de sa famille, qui l’abandonnaient, quoique pouvant tout pour lui. De ces bâtards, outre le Pape, était le futur cardinal Hippolyte, fils de ce Julien que le roi de France avait titré duc de Nemours et d’une dame florentine ; un autre était Alexandre, né de la femme d’un voiturier de Collevecchio et de Laurent, duc d’Urbin, ou du Pape lui-même