Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/427

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’une longueur de lame est tout ce qui le sépare de son rêve ! Trop douce et trop malheureuse Florence, n’es-tu pas plus désirable ainsi ? Tes dégoûts, tes plaintes, ton silence même, ne crient-ils pas à ce Médicis que tu lui appartiens, s’il ruine ce gouvernement que les hallebardes, la hache et les sentences d’exil assurent de l’impunité ? Cet Alexandre, enfin, est-ce une créature qui vaille un scrupule ? Il y a peu d’années, Alexandre « criait famine, il était endetté ; jadis on se déshonorait à devenir son précepteur ; il avait connu l’angoisse d’être fait prêtre comme Hippolyte, et les femmes de service recueillaient ses doléances ; il avait erré, fugitif, sur les côtes de Ligurie, essayé de conspirer, on l’avait proposé comme duc de Milan ; puis il avait été en Flandre, et, enfin, tout à coup, en 1530, on le faisait Seigneur à Florence ! » A présent, il ne se souvient de tant de hontes bues que pour en abreuver son cousin Lorenzino, si élevé au-dessus de lui par la naissance et par les dons. Il étale une épaisse et incontinente vanité ; et sa sensualité ne respecte plus religion, parenté ni noblesse ; il lui faut dames et nonnains ; elle s’assouvit dans les monastères. Si donc Florence, qui, jadis, solennellement, avait élu pour son roi Jésus-Christ, supporte d’être le bouge de ce violateur, Lorenzino hésitera-t-il à faire, pour lui rendre l’honneur, tout ce qu’elle a fait pour le perdre ? Il sera le mignon d’Alexandre, son entremetteur, son espion, son apologiste ; il sera son Lorenzaccio ; — et il le tuera.

Le 25 septembre 1534, mourut Clément VII. Puis, Alexandre consomma sa rupture avec la puissante maison des Strozzi, qui payait cher, mais juste, ses complaisances, ses gaspillages, ses tergiversations. Les deux fils de Philippe Strozzi furent bannis de Florence ; leur sœur Louise, qu’Alexandre voulait déshonorer, périt par le poison ; à ce coup, son père, le voluptueux et léger Philippe, l’ancien maître de plaisirs de Lorenzino à Rome, connaissait le prix de la vertu et du courage et, pour préparer la perte d’Alexandre, rejoignait les exilés en mal de conjuration. A son tour, le cardinal Hippolyte succombait soudain à Itri, où l’avait attiré la belle Julie de Gonzague. Lorsqu’il apprit cette mort de son rival et contempteur, Alexandre se vanta de savoir « chasser les mouches d’alentour de son nez. » Lorenzino ne lui avait-il pas préparé et tendu l’émouchoir ? Car ce guet-apens où tombe Hippolyte nous rappelle le plan différé de l’assassinat du Pape et n’en fut probablement qu’un essai, en vue d’Alexandre.