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recherches à travers les papiers d’archives est d’une lecture infiniment instructive et utile. L’auteur n’est d’ailleurs aucunement suspect de sympathie pour le christianisme, même persécuté. Il n’y a pas à craindre qu’il ait cédé au désir de dénigrer les cultes révolutionnaires. On peut donc les contempler dans l’image qu’il nous en donne et qui n’est sûrement pas une caricature. On peut tenir pour acquises les idées essentielles que suggère son étude et qui sont, non pas du tout des argumens de polémique contre-révolutionnaire, mais les résultats d’une enquête quasiment scientifique.

La première est qu’en aucun temps, et pas plus sous le régime du Directoire que sous celui de la. Convention, les chefs de la Révolution n’ont cru pouvoir supprimer purement et simplement toute espèce de religion. Disciples de Rousseau ou de Voltaire, ils n’admettent pas que l’athéisme soit compatible avec l’existence d’une société organisée. Ils ne croient pas qu’une nation puisse se passer d’une religion, parce qu’ils ne croient pas que la morale elle-même puisse se passer d’une base religieuse. Tel est le principe que commence par poser Laréveillère-Lépeaux dans un « mémoire » fameux qui est une des pièces essentielles de notre sujet. « Faut-il des dogmes et un culte religieux ? Je crois qu’il est impossible qu’un peuple puisse s’en passer ; autrement il se jettera dans les superstitions les plus grossières, parce qu’il trouvera toujours des charlatans pour effaroucher son imagination et vivre à ses dépens. Il y a plus ; sans quelque dogme et sans aucune apparence de culte extérieur, vous ne pouvez ni inculquer dans l’esprit du peuple des principes de morale, ni la lui faire pratiquer. » C’est aussi bien l’idée que nous retrouverons exprimée en cent endroits et sous des formes presque identiques dans les considérans sur lesquels s’appuient les inventeurs de nouvelles « institutions. » Mais on l’avait déjà dit : il faut une religion pour le peuple.

La seconde est que la grande affaire étant de détruire le christianisme, il faut se précautionner d’un culte à mettre à sa place. La seule tactique efficace consiste à combattre une religion par une autre religion. Il en est d’ailleurs des religions comme des constitutions : on les fabrique à volonté ; on les invente à plaisir et à loisir, on les combine suivant sa fantaisie, les besoins de la polémique et les indications des circonstances. On a ainsi, en face de l’œuvre des siècles élaborée lentement au fond de la conscience humaine, un beau système tout neuf. Reste à l’imposer. C’est l’office de l’État qui est merveilleusement outillé à cet effet. Il a, pour mettre ordre aux affaires de conscience comme aux autres, la ressource jamais épuisée