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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/559

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cela que l’apparente régularité de ses plans en masque quelquefois la richesse intérieure aux yeux d’une critique inattentive et superficielle ?

Insisterai-je maintenant sur l’enchaînement de ces trois sermons entre eux ? Ils forment ensemble une « trilogie, » pour ainsi parler, de la mort chrétienne, et tout en traitant tous les trois de la même idée, aucun d’eux ne ressemble pourtant aux deux autres. Si nous craignons la mort, sachons nous y préparer, et apprenons d’elle à bien vivre : tel est le thème de ces trois sermons sur la Crainte de la mort, sur la Préparation à la mort, sur la Pensée de la mort, et, dans quelque ordre qu’on les lise ou qu’on les relise, ils ramènent tous les trois la même et unique leçon. J’ai tâché de montrer le parti que l’orateur en avait tiré ; et que serait-ce si j’énumérais les divisions des divisions ? si je voulais montrer comment Bourdaloue développe cette idée que la pensée de la mort est le « remède le plus souverain pour amortir le feu de nos passions ? » et comment, en toute occasion, il en arrive toujours à dire de la manière la plus imprévue ce que précisément on attendait de lui ? C’est que, comme dans l’art de féconder un sujet par la méditation, il a excellé dans une partie moins apparente encore de l’art oratoire, plus humble en quelque manière, et je dirais volontiers plus méprisée, laquelle est l’art des transitions.

Boileau ne se trompait pas quand il reprochait, à l’auteur des Caractères, d’avoir évité la principale difficulté de son art, en s’arrangeant de manière à se passer des transitions. Et sans doute Boileau s’y connaissait, il devait s’y connaître, ses transitions, en général, — et jusque dans son Art poétique ou dans ses meilleures Épîtres, — n’étant pas moins artificielles qu’elles sont laborieuses. La « composition » de Boileau n’est, en général, qu’une mosaïque ou une marqueterie. Il a d’autres qualités ! Il n’a pas celle de voir promptement les rapports des idées, ni leurs liaisons cachées, ni surtout la manière dont, en se distinguant les unes des autres, cependant elles s’enchaînent. Mais prenez au contraire celui que vous voudrez des sermons de Bourdaloue, et c’est tout justement ce que vous y trouverez. S’il découvre dans les sujets ce que l’on vient de voir qu’il y découvrait, c’est qu’une part de son invention consiste précisément dans l’originalité de ses transitions. Il « divise » parce qu’il voit les nuances ou les intervalles qui séparent des idées qu’on croyait voisines, mais il