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une gloire de cultiver ces âmes rachetées du sang de Jésus-Christ ! D’autres s’assigneront à vous conduire vous-mêmes et vous en trouverez assez ! Mais, pour ces pauvres aussi chers à Dieu que tout ce qu’il y a de grand dans ce monde, je les recevrai. Je serai leur prédicateur comme je suis maintenant le vôtre. Je vous laisserai le pouvoir de les commander, et je me réserverai l’honneur de leur faire entendre les volontés du souverain maître à qui nous devons tous obéir et de leur expliquer sa loi. [Sur l’Aveuglement spirituel. Carême, II, 387, 388.]


Ne serait-on pas fâché d’apprendre que cet endroit, l’un des rares où Bourdaloue, si l’on ne peut pas dire qu’il se « livre, » laisse pourtant paraître l’homme, n’est pas de lui, mais du Père Bretonneau ? Mais, en tout cas, si jamais orateur de la chaire n’a connu mieux que lui les « hommes en particulier, » — ce qui est la condition même de la psychologie, — n’en voyons-nous pas ici les raisons, dans l’étendue, dans la diversité, et encore et toujours dans la « continuité » de son expérience, ayant non seulement prêché, mais confessé trente-cinq ans, et même, n’étant peut-être mort, le 13 mai 1704, que d’avoir voulu le 10, trois jours auparavant, assister un dernier mourant dans son agonie ?

Cette perspicacité du psychologue se retrouve presque dans tous les sermons de Bourdaloue. J’en signalerai cependant trois d’une manière plus particulière : celui que je viens de citer, sur l’Aveuglement spirituel, et deux autres, sur la vraie et la fausse Piété, et sur la fausse Conscience.

Il n’est question de nos jours, depuis Kant et Rousseau, que des « droits de la conscience, » et personne peut-être ne les a plus éloquemment revendiqués que l’illustre auteur des Origines de la France contemporaine, dans une page célèbre et souvent citée. Mais la conscience est-elle donc infaillible ? Ne pouvons-nous peut-être nous faire une « fausse conscience, » et comme qui dirait une conscience « professionnelle, » déformée par l’usage dans le sens de nos intérêts ou de nos convenances ? Une difficulté morale surgissant, toutes les « consciences » la résoudront-elles de la même manière, la conscience de l’« homme du monde » et celle de « l’homme du peuple ? » la conscience du fonctionnaire et celle de l’homme libre ou indépendant ? la conscience du militaire et celle du magistrat ? la conscience du prêtre même et celle du laïque ? Et comment se forme « une fausse conscience ? » Car, pour les dangers de s’en former une,