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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/570

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qui les ont appliqués, — et même de l’éloquence en général ?

Qu’est-ce à dire ? sinon que, comme il y a une « forme dramatique, » par exemple, il y a une « forme oratoire. » Toutes les paroles qu’on prononce, et même qui se font applaudir en public, ne sont pas pour cela des « discours. » L’éloquence ne consiste pas uniquement dans cette forme oratoire, mais sans cette forme oratoire il n’y a pas d’éloquence. Si Bourdaloue n’eût pas reçu le don de cette « forme oratoire, » ou, en d’autres termes, si ce qu’on appelle ses « procédés » n’était pas la naturelle expression de son tempérament littéraire, il serait encore un grand écrivain, un admirable moraliste, un psychologue subtil et profond, il ne serait pas un « orateur » et il ne serait pas Bourdaloue. Si je crois devoir y insister, c’est qu’on ne l’a pas assez dit dans les éloges qu’on a faits de lui. On a vanté la « beauté de ses plans, » la « fécondité de son invention, » la « richesse de sa psychologie, » et nous n’avons eu garde, à notre tour, d’oublier d’en parler. Là est la source de son éloquence. Le tempérament oratoire, sans ces dons ou d’autres analogues, n’aboutit qu’à la rhétorique ou à la déclamation. Mais ce ne sont pas ces dons qui le constituent. Il est comme en dehors et indépendamment d’eux. Et la preuve, c’est que ces dons ne sont, — et on le prouverait, — ni ceux de Bossuet ni ceux de Massillon., Mais on montrerait en revanche que, si Massillon et Bossuet sont les orateurs qu’ils sont, c’est pour avoir eu, comme Bourdaloue, et à des degrés d’ailleurs très différens, la qualité que nous avons indiquée dans l’œuvre de Bourdaloue, comme essentielle et caractéristique de la « forme oratoire. » Bossuet et Massillon, comme Bourdaloue, et comme aussi bien Démosthène ou Cicéron, sont « orateurs, » du fait et à cause des qualités de mouvement et d’action qui sont celles de leur expression ou de leur pensée. Et ainsi, ce qui fait l’originalité de Bourdaloue dans l’histoire de la chaire chrétienne, c’est la rencontre en lui des qualités caractéristiques de l’orateur, avec des qualités qui sont ce qu’elles sont, qui d’ailleurs ne sont pas proprement oratoires, et qui n’appartiennent qu’à lui.


V

C’est ce que je voudrais avoir montré dans cette étude, où, pour caractériser l’éloquence de Bourdaloue, je n’ai pas eu