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donc et vous dise que, dans le plus profond de mes ennuis, je me tourne et crie vers vous.

Soignez-vous, cher Olivier, M. Monnard m’a écrit que M. Gaullieur[1] m’a adressé des mémoires de ou sur Benjamin Constant : je vais voir ce que c’est. Fléchissez donc M. d’Hermenches, y puis-je quelque chose directement ? Adieu, à toujours.

Pourriez-vous me dire s’il y aurait moyen d’acquérir là-bas le livre que voici : Diverses pensées sur le bien public, par Bonstetten.


Ce jeudi (hiver 1844.)

Nos lettres, en effet, se sont croisées ; peut-être celle-ci fera-t-elle de même ? J’aurais dû répondre tout aussitôt à votre si aimable inquiétude et la rassurer deux fois. Je suis ici trop occupé par malheur ; vie de métier, sans agrément, sans autre sensation que celle du harnais qui frotte et cuit, et qu’on finit par aimer en le maudissant. Je ne vois personne. Je suis en des torts si honteux avec tous mes meilleurs amis d’ici que je ne les compte plus, et cela va ressembler à une faillite universelle. En échange de vos jolis et mouvans tableaux, que vous offrir des nôtres ? de la boue électorale, de la crotte électorale, et de la boue encore. Lamartine, à travers cela, publie des poésies : mais ces poésies données par échantillon d’avance, dans les Débats et dans la Presse, viennent encore à point pour aider le mouvement électoral et lui donner un coup de main : on n’en sort pas. À travers cela, Mlle Rachel vogue toujours jeune, pure et applaudie, comme la conque d’Amphitrite sur le dos des Tritons. Elle seule tient tête aux élections, n’en est ni tuée, ni atteinte, et fait foule innocemment autour d’elle. Vrai miracle !

Je vois que votre hiver est très amusant, en somme : il y a les jours de foule et d’assemblée où, bon gré mal gré, vous triomphez sans trop d’ennui ; il y a les petits jours où vous vous amusez prodigieusement, où du moins vous jouissez plus intimement. Ah çà ! ce beau monsieur italien commence bien à m’ennuyer avec ses perfections, je suis un ami très jaloux, ne savez-vous pas ? et il me sera, avant de l’avoir vu, aussi insoutenable, à force de louanges, que cet excellent M. Chatelanat.

  1. Littérateur de la Suisse romande, qui communiqua à Sainte-Beuve les lettres de Benjamin Constant à Mme de Charrière.