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A la notification du traité anglo-japonais, qu’une politique plus alerte aurait peut-être réussi à prévenir, notre ministre des Affaires étrangères répondit par une affirmation nouvelle de l’existence de l’alliance franco-russe ; cette affirmation n’était pas, le ministre s’en est défendu à la tribune, une extension de l’alliance aux affaires d’Extrême-Orient ; elle n’était donc alors qu’une simple manifestation. L’existence de l’alliance anglo-japonaise empêchait en effet, par le texte de son article 3, la France de marcher au secours de la Russie sous peine d’entraîner l’Angleterre dans la lice. Mais, cette manifestation avait un inconvénient grave : elle soulignait la rivalité menaçante des deux groupes, Russie et France, Japon et Angleterre ; elle accentuait l’antagonisme, elle poussait, au lieu de la retenir, la Russie dans la voie fatale à ses intérêts et aux nôtres où elle était engagée et où elle a trouvé la guerre.

Nous n’avons pas ici à faire par le menu l’historique des négociations russo-japonaises, à propos de la Mandchourie, jusqu’au moment où elles ont abouti au conflit armé. Il nous suffira de constater que les conceptions fausses ont, comme les principes justes, leur logique et leur fatalité. Le jour où les Russes, oubliant le principe de l’intégrité de la Chine, proclamé par eux-mêmes, occupèrent Port-Arthur, ils maîtrisaient l’entrée du Pe-Tchi-Li et pouvaient se croire les dominateurs de la Chine du Nord ; mais la position de Port-Arthur, si elle commande les avenues de Pékin par mer, était, pour les Russes, singulièrement excentrique et « en l’air. » La possession de Port-Arthur, en face du Japon menaçant, exigeait impérieusement l’occupation de la Mandchourie et la présence d’une armée et d’une flotte capables d’en imposer aux Nippons. La crise de 1900, nous l’avons vu, fut pour les Russes l’occasion d’occuper les alentours de la ligue transmandchourienne, de s’établir en Mandchourie et, en dépit de promesses réitérées, d’y rester. Ainsi s’évanouissait de plus en plus la fiction de l’intégrité de l’Empire chinois ; l’occupation de Port-Arthur, conséquence de celle de Kiao-Tcheou, l’avait à jamais dissipée ; et c’est de là, finalement, que sortit la guerre.

Il est curieux de remarquer que les suites dangereuses de l’oubli de la politique d’intégrité étaient masquées aux Russes précisément par les heureuses conséquences de l’application patiente et habile de l’autre article essentiel de leur