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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/720

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Depuis quelque temps, personne n’ignorait dans le monde politique, ni dans le monde catholique, que la situation de deux évêques, ceux de Laval et de Dijon, était devenue très difficile. Des bruits très fâcheux ont couru sur eux, et on peut dire, sans crainte de porter un jugement téméraire, que tant de fumée ne va pas sans feu. Le trouble et l’anarchie règnent en ce moment dans leurs diocèses. Ceux qui s’intéressent à la paix des consciences, au bon ordre, aux convenances, le regrettent : il va sans dire que rien n’est plus indifférent à notre ministère, ou plutôt que rien ne lui paraît venir plus à propos pour apporter une preuve nouvelle de l’incompatibilité d’humeur qui existe entre l’Église et l’État. Que faut-il, en effet, pour que la démonstration devienne éclatante ? Que l’État prenne le parti des deux évêques contre le Pape, et c’est ce qu’il n’a pas manqué de faire. Il avait d’ailleurs un autre motif pour prendre en mains la défense des évêques de Laval et de Dijon : c’est qu’il a toujours voulu et qu’il veut de plus en plus avoir dans les évêques des fonctionnaires à sa dévotion, dépendant de lui seul et par conséquent indépendans de Rome, plus enclins à regarder du côté de la place Beauvau que du côté du Vatican. Et, certes, nous croyons que les évêques, plus que personne, doivent rendre à César ce qui est à César, même lorsque César s’appelle M. Combes ; mais, plus que personne aussi, ils doivent rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Les deux devoirs sont quelquefois difficiles à concilier : la grande majorité de nos évêques y réussit cependant. Mais, qu’on nous passe le mot, quelle bonne aubaine pour un gouvernement comme le nôtre ! et quelle plus admirable occasion pour lui de mettre deux évêques à sa discrétion que de les défendre contre le Pape ? Il ne pouvait pas manquer d’en profiter. Nous n’apprécierons as en lui-même, au moins pour le moment, l’acte de ces prélats qui, menacés par Rome, se sont jetés, pour s’y réfugier, dans le giron de M. Combes. Ils y ont trouvé ce qu’ils attendaient ! Voilà donc la guerre allumée entre l’Église et l’État, et le Concordat en plus sérieux péril que jamais. On saura sans doute plus tard si Mgr Geay et Mgr Le Nordez méritaient que tant de choses délicates et importantes fussent compromises pour eux. Ce n’est pas pour eux, dira-t-on ; nous nous soucions fort peu de leurs personnes ; mais il y a des principes à sauvegarder ; il y a le Concordat qui a été violé et dont il faut assurer le respect ; il y a enfin, de la part de Rome, un empiétement intolérable sur le domaine de l’État : c’est contre tout cela qu’il a fallu protester.

Parlons en toute franchise. Bien que, suivant les vraisemblances, on ait raison à Rome sur le fond des choses, on ne l’a pas toujours eu