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rencontrer beaucoup plus de difficultés et de résistances dans la première partie de l’œuvre qu’ils ont accomplie. La facilité imprévue avec laquelle ils ont supprimé, dispersé, liquidé les congrégations enseignantes d’hommes et de femmes, sans parler de quelques autres, leur a fait perdre le sens des réalités. Ils croient aujourd’hui pouvoir tout faire, et nous craignons qu’ils ne puissent effectivement faire beaucoup de mal avant l’inévitable réaction qu’ils préparent. Il en est qui, dans leur hâte, demandent que la Chambre dénonce le Concordat et prononce la séparation de l’Église et de l’État avant même d’avoir pourvu aux conséquences de cette redoutable mesure et d’avoir pris législativement les dispositions nécessaires pour permettre à l’Église de vivre sans attache avec l’État. On verra après, disent-ils : commençons par rompre ! Ils admettent même, dans l’espoir que cette période transitoire ne saurait d’ailleurs être longue, que le statu quo actuel soit maintenu, c’est-à-dire le budget des cultes conservé, jusqu’au moment où la législation des cultes sera faite. Cette période pourrait bien, au contraire, durer longtemps, mais elle serait pleine de troubles dans le présent et d’incertitude pour l’avenir. Que dire au surplus d’une manière de procéder qui consisterait à se jeter d’abord dans le gouffre sans en avoir regardé le fond et sans même savoir sur quoi on tomberait ? Tout cela montre l’impatience fébrile qui s’est emparée de certains esprits, tandis que les autres se montrent de plus en plus déconcertés.

Nous espérons qu’à Rome on se rendra compte des nécessités qu’impose une situation aussi alarmante. La première est de soutenir les intérêts religieux par une sage et prudente politique, car ils ne sauraient s’en passer. Il est beau de toujours regarder le ciel ; mais nous vivons sur la terre, et cela nous impose certaines obligations. Il y a des choses qu’on peut faire dans un pays et non pas dans un autre, dans un temps et non pas dans un autre, avec telles personnes et non pas avec telles autres, et, pour atteindre le même but, on doit souvent suivre des voies différentes, parce que les points de départ et les accidens de la route sont différens. Il s’en faut de beaucoup que la même règle puisse toujours servir sans adaptation particulière aux circonstances du moment. Tout cela, sans doute, c’est de la politique et non pas de la religion ; mais la première est nécessaire à la seconde, et ceux mêmes qui croient que Dieu veille toujours sur son Église savent par l’histoire à quelles terribles épreuves il l’a parfois condamnée. Puisque ce sont des gouvernemens humains qui les lui ont imposées, c’est par des procédés humains qu’il faut s’efforcer de les détourner.