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et de la police aujourd’hui impuissantes. Maintenant les diverses opinions étaient obligées de se servir elles-mêmes, n’avaient plus que leur énergie personnelle pour influer sur les événemens. Rien ne pouvait être plus favorable au parti qui recrutait ses troupes parmi les masses les plus prêtes à agir, et, pur de cette complicité impériale où étaient compromis tous les autres, semblait, au lieu de leur égal, presque leur juge. Les malheurs publics préparaient donc au parti révolutionnaire des chances qu’il n’avait jamais rencontrées depuis l’invasion de 1792, qu’il ne retrouverait jamais plus favorables.

Ce serait les perdre toutes que demander à la France sa volonté. Sans doute des élections générales consacreraient la République : mais le suffrage universel engloutirait dans sa foule paysanne la coalition des révolutionnaires ouvriers ou bourgeois, et, malgré qu’une popularité d’accident les portât en plus grand nombre à la Chambre, le pouvoir n’appartiendrait ni à leurs personnes, ni à leurs doctrines. Pour garder et accroître leur influence, il leur fallait prévenir cette réponse nationale, se substituer à sa volonté, empêcher qu’elle les désavouât. S’ils ne sont qu’une minorité infime dans la France, ils sont groupés dans les villes d’où le gouvernement s’exerce sur tout Je pays. Il leur est facile de se faire forcer la main par quelques mouvemens de la rue, et de saisir les fonctions publiques : le salut du pays, l’urgence de défendre l’autorité contre les vengeances populaires, et la foule contre ses propres excès, légitimeront leurs entreprises. La résistance locale n’est pas à craindre : les chefs des conservateurs restent ensevelis sous l’écroulement de l’Empire, et, pour opposer manifestations à manifestations, les libéraux manquent d’habitude et de temps. Ces timides, si la peur les gagne, seront les premiers à appeler au secours les révolutionnaires qui auront déchaîné la foule et paraîtront la contenir.

La place prise, la désapprobation du gouvernement n’est pas plus à redouter : blâmerait-il en province les initiatives qui lui ont donné le pouvoir à Paris, et chicanerait-il sur une procédure de légalité ses amis d’hier, ses partisans d’aujourd’hui, ses défenseurs de demain, plus maîtres que lui de la contrée ou ils dominent ? Nantis de leur gage, ils pourront mieux obtenir l’investiture des fonctions déjà prises, et, moitié soumis, moitié menaçans, les assurer, sinon à eux-mêmes, tout au moins à des hommes sûrs. Cela fait, tout sera gagné. Pour ajourner les