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le 28, à Kalisch, où se trouve le quartier général russe, par Anstett, accompagné de Scharnhorst, en qualité de plénipotentiaire militaire. « Le Roi, dit le tsar à Knesebeck, a eu plus de confiance en moi, il a signé sans changer un mot. » L’émotion lui coupa la parole, puis il s’écria : « C’est un secours que m’envoie la Providence. Mais le Roi peut être sûr que je mourrai plutôt que de l’abandonner. » Il lui écrivit, le jour même : « Tout le bonheur que j’éprouve à me voir de nouveau lié à vous par l’acte le plus solennel et le plus sacré qui doit, avec l’aide de la Providence divine, arracher l’Europe au joug qui l’oppresse… » L’alliance formée, en 1764, entre Frédéric II et Catherine avait duré quarante-trois ans, 1764-1807 ; cette fois, il y en avait pour soixante-cinq au moins, 1813-1878 ; cette alliance, après avoir reconstitué la Prusse, la porta à l’empire de l’Allemagne.

L’instrument officiel est daté de Kalisch, 28 février 1813. « La destruction totale des forces ennemies qui avaient pénétré dans le cœur de la Russie a préparé la grande époque de l’indépendance de tous les États qui voudront la saisir pour s’affranchir du joug que la France a fait peser sur eux depuis tant d’années… En conduisant ses troupes victorieuses hors de ses frontières, le premier sentiment de Sa Majesté l’empereur de toutes les Russies fut celui de rallier à la belle cause que la Providence a si visiblement protégée ses anciens et plus chers alliés, afin d’accomplir avec eux des destinées auxquelles tiennent le repos et le bonheur des peuples épuisés par tant de commotions et tant de sacrifices. Le temps arrivera où les traités ne seront plus des trêves, où ils pourront de nouveau être observés avec cette foi religieuse, cette inviolabilité sacrée auxquelles tiennent la considération, la force et la conservation des empires. »

Ce préambule constitue la déclaration des droits de l’Europe selon la Russie, et le manifeste de la politique qu’Alexandre allait, durant plusieurs années, faire prévaloir en Europe. Il proclame les motifs élevés qu’il se propose, il donne le ton du nouveau langage des chancelleries et affirme, solennellement, ce paradoxe destiné à faire fortune dans l’histoire, que la foi religieuse, l’inviolabilité des traités, consacrent le retour à des principes qui, en vérité, n’avaient jamais prévalu dans le passé, à un droit qui n’était connu que par les réclamations des publicistes et les violations des gouvernemens. Faute de garantie à donner aux peuples de l’âge d’argent qu’on leur promet, force est bien