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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/825

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également à les faire parler et à les faire taire, ou même à les faire réfléchir. Sans aucun pédantisme, le plus naturellement du monde, en promenade, en voiture, aux belles heures de la campagne, il posait à ses interlocutrices, jeunes ou vieilles et plutôt jeunes, des questions de morale ou de science, des problèmes délicats : Comment une alouette peut-elle chanter en volant ? Pourquoi un canard se dandine-t-il en marchant ?

Il était gai très souvent ; il fut sans doute heureux. Le manque de ressources, une santé délabrée dont les défaillances vinrent sans cesse se mettre en travers de ses efforts et de ses travaux, l’insomnie, la souffrance, la solitude, n’ont pu triompher de sa volonté ni de sa confiance en lui-même. Tardivement mis à l’aise par les traductions de ses œuvres, il a pu achever son existence, dans sa retraite de Brighton, avec quelque agrément, un luxe tranquille et une gloire presque satisfaite. Il avait trop aimé la vie, il l’avait trop longtemps observée et étudiée sous ses formes multiples, il en avait aussi trop pâti pour ne pas chercher en elle seule le secret de toutes choses.

Il a été le philosophe de la vie.


II

Descartes, ayant aperçu, par la géométrie analytique qui lui permettait d’exprimer une figure de l’étendue en une formule du calcul, une première généralisation de la méthode algébrique, se demanda si cette méthode mathématique à son tour ne pouvait pas être universalisée, et si son application au reste du monde ne devait pas résoudre le problème philosophique tout entier ; Leibniz, ayant fait usage du calcul intégral et différentiel et ayant conçu par-là une nouvelle notion de la continuité, tenta tout aussitôt d’embrasser dans cette notion la réalité de l’univers ; Kant, ébloui par la découverte de la gravitation, et ayant cru voir dans la toute-puissance du génie d’un homme la preuve que c’est l’esprit humain qui dicte à la nature ses lois logiques, édifia précisément sa philosophie théorique pour rendre compte de cet apparent paradoxe et expliquer qu’une science de la nature fût possible sans l’intervention de l’expérience. Ainsi toute philosophie n’est jamais qu’une généralisation de la découverte scientifique la plus récente et comme une transposition métaphysique du savoir qui vient de naître. Il semble, par un prestige