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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/870

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s’était laissé prendre aux pieuses austérités de la jeune marquise, à ses fréquentes communions, à tout un appareil de pratiques et d’observances, qui partait du reste d’un sentiment sincère, et dont Mm* de Montespan conserva toujours le plus qu’elle put à travers les scandales de son existence. Ainsi entendue, la religion n’empêche pas d’aller chez la sorcière. Elle y mènerait plutôt, en donnant à l’âme perverse « la vague conscience du plus outre[1]. »

Mme de Montespan devint l’une des meilleures pratiques de la Voisin, de celles qui ne regardaient pas aux frais, ni à la décence des cérémonies, pourvu que le diable la fît aimer de Louis XIV. A la différence de ses rivales, elle en eut pour son argent. Elle s’était mise en campagne dans le courant de 1666. Les Mémoires de Mademoiselle, très abondans sur ce sujet, et confirmés par ailleurs, nous apprennent qu’au printemps de 1667, Mme de Montespan avait supplanté La Vallière ; il n’y avait plus que la jeune Reine à en douter.

Moins d’un an après, la Voisin eut l’imprudence de faire du bruit parce que deux de ses auxiliaires n’en avaient pas agi honnêtement avec elle. L’un d’eux s’appelait Mariette et était prêtre, attaché à l’église de Saint-Séverin ; la Voisin s’en servait pour les sacrilèges. L’autre, Lesage, était une espèce d’homme à tout faire, qui ne reculait devant aucune abomination. La Voisin les accusait de lui avoir soufflé l’une de ses clientes, Mme de Montespan, ce qui était vrai, mais inutile à crier sur les toits. Leurs démêlés « ayant fait quelque éclat, rapporte La Reynie[2], et le Roi ayant eu avis que ces gens faisaient des impiétés et des sacrilèges, et les ayant fait observer, » Mariette et Lesage furent arrêtés. Leurs interrogatoires nous ont été conservés. En voici le passage essentiel.

Mariette avoua sans difficulté avoir « dit des Evangiles » sur la tête de diverses personnes, forme de conjuration relativement innocente. On lui demanda les noms ? — « Sur la tête de la dame de Bougy, sur Mme de Montespan, à la Duverger, à M. de Ravetot, toutes lesquelles personnes Lesage a menées chez lui[3]. »

  1. La Magie dans l’Inde antique, par Victor Henry.
  2. Il avait été nommé lieutenant de police en 1667. Pour ce procès, voir les Archives de la Bastille.
  3. Interrogatoire du 30 juin 1668. Mme de Bougy était la veuve du marquis de ce nom, lieutenant général. La Duverger s’occupait de magie. Le marquis de Ravetot avait épousé Catherine de Grammont, fille du maréchal.