jugement sur la valeur complète et le sens dernier d’un récit dont nous ne possédons encore que le commencement. On nous y présentait aux premières pages un orphelin, le petit Valentin, dont l’usinier a voulu faire d’abord un ouvrier, et qu’une irrésistible vocation a poussé à devenir un intellectuel. Qu’arrivera-t-il de cet enfant ? De quel drame deviendra-t-il le héros ? Quoi qu’il en soit, il reste que ce livre est tout imprégné de sympathie, de pitié pour les humbles, de révolte contre l’injustice inhérente à nos sociétés et qu’on y retrouve la même inspiration morale qui se marquait déjà, et avec une si noble sincérité, dans les premiers romans de l’auteur.
Influence du passé sur le présent, action continue de l’histoire sur les destinées d’un pays, opposition des races, conflit entre l’idéal d’hier et celui de demain, lutte entre les intérêts de l’individu et ceux de la famille, ruine progressive du mariage, soudaine éclosion d’un état d’esprit anarchique, haine des classes, ce sont quelques-uns des élémens qui rendent si inquiète notre vie moderne, et des problèmes que se posent avec tant d’angoisse ceux qui regardent vers l’avenir. Ils font aussi bien le sujet des livres d’après lesquels nous avons essayé d’esquisser le type du nouveau « roman social. » Dira-t-on que ces questions dépassent la portée du roman, et que la solution n’en appartient pas plus aux fictions du récit qu’à celles de la scène ? C’est une objection qui de tout temps a été faite au roman social comme aux pièces à thèse ; et nous ne méconnaissons pas qu’elle enferme une part de vérité. Par exemple on pourrait dans chacun de ces romans prendre le personnage auquel l’auteur est plus ou moins défavorable, et on constaterait que nous lui devenons à mesure plus indulgens. Tel est en nous l’esprit de contradiction. Voici l’usinier de M. Rod, l’infortuné Délémont. Cet homme est actif, laborieux, intègre et bon. C’est lui qui recueille son neveu, et qui prend effectivement soin de l’élever, tandis que ce phraseur de Romanèche ne saura jamais que l’étourdir de ses bonimens. Il cherche à marier sa fille à un brave homme qu’il prend dans son monde, sans souci de fortune, ni prétention de vanité. Pour le récompenser, tous les malheurs vont fondre sur lui. Sa femme devient folle, on lui tue une de ses filles, ses affaires périclitent, et c’est tout juste si on ne le met pas en prison. Trop est trop ; et nous sommes tentés de prendre parti pour cet oppresseur.. Voici le malheureux Darras. Il aimait une jeune fille : on la marie à un autre, d’ailleurs parfaitement indigne ; et quand celui-ci a saccagé la vie de celle qu’on lui a livrée, Darras toujours épris, toujours fidèle, revient avec le seul espoir de refaire la destinée de la