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contre les enlèvemens et les rapines. Tout ici a contribué à faire une région de cités. Les petites couronnent les hauteurs jadis protectrices, abritent les paysans dans une enceinte de murs et de tours qui ont vu les barbares, et sont encore debout. Les villes établies dans des régions de mines ou sur les routes du commerce, sont devenues de grandes cités. Plusieurs, de 70 000 à 100 000 âmes, voisinent, entre Lyon et Marseille, les deux plus populeuses de France après Paris.

Ces différences entre les deux régions du Midi ont contribué à la diversité entre les deux principaux types de la race : le Gascon et le Provençal. Le Gascon est un Méridional qui a les jours de soleil pour s’échauffer, et les heures de pluie pour se refroidir, les assemblées pour entrer dans les passions collectives, et la solitude pour rentrer en lui-même. Dans les premières, ardent, enthousiaste, il se donne ; dans la seconde, calculateur avisé, il se ressaisit. Après avoir pris et répandu la fièvre des paroles, il voit qu’en invoquant la cité, la patrie, l’humanité, la plupart s’occupent de leur avantage particulier, et que faire autrement serait ignorer ses semblables et se trahir lui-même. De ces élémens contraires s’est formé un être complexe qui s’agite en gestes de premier mouvement, mais pour accomplir des actes de mûre réflexion, reste maître de soi quand il semble le plus entraîné par les autres, et, avec une générosité d’attitude et de paroles pour les idées désintéressées, pousse habilement sa fortune.

L’intérêt aussi est le conseiller intime du Provençal : qu’on cite, par toute la terre, la contrée où l’homme ne songe pas d’abord à soi ! Mais l’homme du Midi sans nuages et sans eau, n’a point autant que le Gascon, des retraites et de l’indépendance pour méditer sur les suites de ses actes. Plus incessamment mêlé aux autres hommes, il échappe moins à l’influence des passions collectives au milieu desquelles il vit, il n’a pas le temps de se mettre en garde contre elles, il est plus dupe lui-même, plus spontané en ses élans, plus uni aux multitudes qui l’emportent et qu’il accroît. Cet instinct qui lui sert de raison le gagne aux formules absolues, oratoires, logiques, violentes qui séduisent les foules. Même dans les petites cités et dans les populations rurales, il pousse aux programmes audacieux qui d’habitude sont acceptés seulement par les populations ouvrières des grandes villes : il est, dans les grandes villes, solidaire de ces