Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/157

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et poiriers nains, cultivés comme plantes d’ornement. L’effet est exquis et, quoique l’entourage soit plus ou moins délabré, cette cour intérieure est un coin très pittoresque d’architecture domestique chinoise.

Mais je n’en puis examiner le détail, car le mandarin est là, debout au milieu, entouré de toute sa cour. Il est vêtu d’une robe de soie bleu sombre, magnifiquement brodée, et sa suite n’a pas de moins somptueux atours. Dès que j’apparais sur le seuil du vestibule, nous échangeons de profonds saluts, et chacun de nous, en avançant, répète plusieurs fois la même civilité jusqu’à la rencontre finale à mi-chemin ; nous nous serrons alors la main à la manière occidentale, ce qui n’est pas une tâche aisée, étant donné que les ongles de mon hôte ont au moins deux pouces de long. Après les présentations accoutumées, il me fait pénétrer dans ses appartemens. La première pièce est chinoise, avec quelques fauteuils délicieusement sculptés. L’effet artistique de la seconde est gâté par deux fauteuils de Vienne, une hideuse horloge française et un tapis de table probablement fabriqué à Manchester. Après les premiers complimens échangés, — et ce n’est pas une petite affaire, attendu que Son Excellence m’adresse quelques douzaines de questions qui seraient très indiscrètes en Occident, mais sont obligatoires en Orient et auxquelles je dois répondre exactement dans le même ordre, — il me conduit dans la salle à manger où une table ronde, couverte de fleurs et de friandises, nous attend.

D’innombrables petits plateaux et soucoupes, garnis de raisins secs, de raisins frais, d’amandes, d’olives et de toutes sortes de desserts, sont disséminés sur la table. L’étiquette exige que le convive prenne place à la gauche de son hôte, et que le premier morceau où il goûte soit placé sur son assiette par l’hôte lui-même. Les domestiques apportent ensuite, sur des plateaux, toutes les inventions de l’art culinaire chinois. Des soupes de poisson et d’escargots, des nageoires de requin accommodées d’une gelée immangeable, toutes sortes de hachis et petits pâtés, humectés de sauces extraordinaires, composent le menu. L’usage qui règle toutes les fonctions publiques ou sociales dans ce pays, exige qu’on n’offre pas moins de cinquante plats à un convive de marque. Ils paraissent différens ; mais on les sert sur de grands plateaux par séries de huit et ils ont exactement le même goût, du moins ils m’ont produit cet effet. Ils sont tous sucrés et sûrs