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dans la haie de saules voisine le bourdonnement des abeilles, tandis que sur un orme élevé roucoule une tourterelle et que le paysan, au flanc du coteau rocheux, émonde sa vigne en chantant ; puis, le soir, contempler la fumée qui s’élève du toit des métairies, ou l’ombre qui s’allonge sur le versant de la montagne, et s’absorber dans cette contemplation, faire entrer en soi toutes ces émotions pour se perdre en elles à son tour, devenir si rapproché de la nature qu’on n’est plus qu’un avec elle : tel est le souhait de sa vie entière, la jouissance divine dont il s’enivre, la volupté où se fond son cœur. Et voilà bien le véritable amour de la campagne, celui que nous comprenons aujourd’hui, que nous sentons avec plus ou moins de force, suivant que nous sommes nous-mêmes plus ou moins capables de poésie et de rêverie ; mais voilà celui que les Romains n’ont guère connu. Virgile est une exception dans son siècle et dans son pays. Ses contemporains, ses successeurs, s’en tiennent aux jardins coquets, aux jets d’eau compliqués, aux lacs artificiels, à l’apprêté, au fardé, sans pousser jusqu’au simple et au vrai. — C’est une autre manière, dira-t-on, d’entendre la campagne ; chacun l’aime comme il lui plaît. Les Romains ont goûté la nature à leur façon. — Sans doute. Mais nous répéterons alors avec La Bruyère : « Il y a un bon et un mauvais goût, et l’on dispute des goûts avec fondement. » Celui de Virgile, qui est aussi le nôtre, valait mieux.


Edmond Courbaud.