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si nous ne sommes pas à la veille d’événemens qui feront ressortir encore davantage ce qu’il y a en elle d’inconsistant et d’illusoire ?

Ces inquiétudes ne sont pas les seules qui aient agité les esprits dans ces dernières semaines. Une grande guerre, comme celle qui se poursuit en Extrême-Orient, ne pouvait pas manquer de mettre en cause les intérêts du commerce des neutres. Ce qui devait arriver est arrivé, et, cette fois encore, la modération des Russes nous a épargné de graves embarras.

Nous avons déjà parlé, il y a un mois, de l’affaire du Malacca, ce vaisseau de commerce anglais qui a été arrêté dans la Mer-Rouge par deux navires de la flotte volontaire russe, et qui, sur les représentations du gouvernement britannique, n’a pas tardé à être remis en liberté. Nous avons dit alors ce qu’il y avait d’équivoque dans le caractère de ces navires russes qui arborent le pavillon commercial lorsqu’ils sont dans la Mer-Noire et qu’il s’agit pour eux d’en sortir, et qui, une fois dehors, arborent un pavillon militaire et se métamorphosent en navires de guerre. C’est à ce dernier litre qu’ils exercent le droit de visite, mais ce titre peut leur être contesté. Il l’a été par le gouvernement anglais. Les argumens que celui-ci a invoqués avaient leur valeur. La Russie a mieux aimé ne pas les discuter, et, sans se prononcer sur la question de droit qui est douteuse, elle a donné à l’Angleterre une satisfaction de fait dont ce pays, tout pratique, n’a pas manqué de se contenter. Il a été convenu que les navires de la flotte volontaire n’exerceraient plus le droit de visite. Un incident nouveau qui est d’hier, loin de jeter des doutes sur la parfaite correction du gouvernement russe, a, au contraire, rendu sa bonne foi encore plus manifeste. Il paraît que le Smolensk, un des navires qui avaient arrêté et saisi le Malacca dans la Mer-Rouge, a continué ses opérations plus au Sud, et qu’il a arrêté et saisi un autre navire anglais dans la région du Cap de Bonne-Espérance. Cela vient simplement de ce que les dernières instructions du gouvernement russe n’ont pas touché tous ses navires, disséminés sur l’étendue des mers, où il n’est pas toujours facile de les suivre et de les atteindre. La difficulté est d’autant plus grande pour les navires russes qu’ils sont relativement moins nombreux en dehors de l’Extrême-Orient. Il n’en est pas de même des navires anglais : il y en a partout. Le gouvernement russe a fait preuve de sa bonne volonté en chargeant le gouvernement anglais de transmettre lui-même, par ses moyens propres, les instructions qu’il envoyait au Smolensk, et cette décision a paru à Londres satisfaisante et rassurante. L’opinion anglaise a été, à maintes reprises, très