du Congrès les mette dans cette alternative de choisir entre les deux blocs. M. Jaurès a le plus grand intérêt à ne pas se séparer de l’Eglise socialiste universelle. De membre éminent de l’Internationale rouge, il serait rabaissé au rôle de simple directeur d’une agence de « chambardement. »
M. Jaurès, par ses attaques, a blessé les Allemands, très influens dans le socialisme international ; il aura donc à se débrouiller avec ses coreligionnaires d’outre-Vosges. Comment d’ailleurs les socialistes pourraient-ils s’entendre ? Ils ne parlent pas la même langue. Les délégués ouvriers anglais ne comprenaient rien au Congrès. Ils rejettent le shibboleth socialiste de la « lutte de classes, » qui n’exprime pas exactement, à leur sens, le conflit des intérêts économiques entre employeurs et employés. Pour eux, le socialisme consiste à gagner dix schellings par jour et à ne travailler que huit heures. Les Français ne goûtent le socialisme qu’enguirlandé de phrases sonores : la Fraternité de l’avenir ! la République ! l’Émancipation du genre humain ! Les Allemands méprisent la rhétorique, construisent le socialisme sur la dialectique hégélienne, la conception matérialiste de l’histoire, l’infrastructure économique de la société, et autres formules alambiquées qu’ils démolissent ensuite, mais avec autant de logique.
En France, les polémiques entre socialistes vont se raviver. — Vous n’êtes pas socialistes, disent les guesdistes aux jauressistes ministériels. — Vous n’êtes pas républicains, ripostent ces derniers ; — et cela ne sera pas pour fortifier les guesdistes devant le corps électoral. Le bureau international a offert ses bons offices, en vue de faire cesser ces divisions fratricides ; il s’est chargé de la mission délicate de réconcilier M. Guesde et M. Jaurès, mais aucun des deux partis ne semble préparé à une entente. Ce qui peut nous toucher de plus près, c’est que M. Jaurès, afin de se laver du soupçon de réformisme et de modérantisme, tentera peut-être d’accentuer, dans le sens socialiste, la politique du bloc.
En dernière analyse, le Congrès d’Amsterdam n’a guère pour nous d’autre intérêt que de nous faire assister à la querelle entre deux méthodes : celle de Bebel, qui consiste à attendre patiemment que le jeune Hercule soit devenu assez fort pour asséner à la société bourgeoise le coup de massue décisif, et celle de M. Jaurès, qui pratique l’art de Locuste, l’empoisonnement sûr