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rendissent compte de la ressemblance des liturgies et du léger sacrifice qu’ils avaient à consentir pour être agréables au roi, et l’Évangélisme ferait des conquêtes parmi les fidèles de Rome. Or il y avait, dans toutes les villes de Prusse, un endroit propice pour donner aux catholiques cette leçon : c’était la caserne. Les hommes des différens cultes s’y coudoyaient et s’y mêlaient : l’ordonnance du 12 février 1832, renouvelant et complétant un premier acte royal de 1810, édicta une sorte de dressage religieux pour les soldats de Sa Majesté. Tous, une fois par mois, ils devaient participer à un service divin commun ; ainsi l’exigeaient « le respect nécessairement dû à la religion principale du pays, et la nécessité d’en finir avec les préjugés nuisibles qui se trouvent encore chez le bas peuple, à l’égard de la différence des religions ; » et le roi ne doutait pas qu’en écoutant le prêche, les catholiques n’y trouvassent « l’avantage que chaque homme raisonnable saura toujours tirer d’un service divin quelconque convenablement établi. » La discipline militaire, avec sa rigueur de fer, se mettait au service de l’Evangélisme national ; le citoyen prussien qui portait l’uniforme, était par-là même contraint de prendre contact avec la religion de son souverain ; et la caserne devenait une école d’assouplissement pour les consciences, comme pour les muscles. C’est ainsi que le roi de Prusse, entre deux parades, faisait prier tous ses soldats à sa propre façon. L’on ne plaisantait pas, dans l’Évangélisme prussien, sur les honneurs dus au Très-Haut ; c’est l’époque où, dans un journal, un censeur officiel biffait l’annonce d’une traduction de Dante, en expliquant que les choses « divines » ne devaient pas être un sujet de comédie.

Mais l’accoutumance catholique grave trop profondément dans les âmes l’idée de leur indépendance à l’endroit du pouvoir laïque, pour que cette pédagogie autoritaire eût chance d’être efficace. La religion du Roi, devant laquelle tout Prussien sous les armes devait prosterner son hommage, se heurtait, dans la vie civile, à la résistance passive des fidèles du Pape ; où la caserne elle-même échouait, le succès était impossible. Il fallait donc renoncer à proposer aux catholiques l’accès d’une religion étrangère à la leur. Alors la bureaucratie changea de tactique ; se résignant à de plus lointaines espérances, elle se flatta que, dans l’ « ultramontanisme » même, se pourraient produire quelques initiatives séparatistes, dont lu résultat serait de jeter un pont entre l’établissement catholique et la Réforme. Au lieu de pousser les