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Keller, évêque de Rottenburg. n’allait point, lui, jusqu’à tromper le Saint-Siège ; mais il détestait les difficultés ; il parlait, avec une componction frissonnante, de la « tendre plante » qui lui était confiée ; de peur de l’exposer, elle si chétive, aux secousses d’une lutte contre la bureaucratie, il acceptait qu’elle manquât d’air dans l’anémiante serre chaude qu’avait aménagée l’État ; et lorsque son souverain protestant tranchait du liturgiste, Keller se courbait avec une docilité d’enfant de chœur. Grégoire XVI multipliait les objurgations, acérait les remontrances ; les évêques restaient sourds, pour avoir le droit de se taire. « Si vous tremblez devant la brutalité des méchans, leur écrivait-il en 1833, c’en est fait de la force de l’épiscopat et de l’auguste et divine puissance de gouverner l’Église. » Mais sur les têtes épiscopales les mitres continuaient de trembler, et les États, lorsqu’une vacance se produisait, avaient une façon de poser les mitres, qui les rendait à jamais vacillantes.

Soit par la force de l’habitude, soit pour se faire mieux pardonner, les rares velléités de courage auxquelles se risquaient les prélats s’exprimaient en un langage qui dérogeait à leur dignité. Demeter, archevêque de Fribourg, pour obtenir de l’Etat qu’un professeur, légitimement suspect à l’Église, fût écarté de la Faculté de théologie catholique, écrivait textuellement : « Si le pouvoir ne peut qu’approuver le souci que j’ai eu jusqu’ici d’éviter tout contact avec Rome pour échapper, dans les troubles ecclésiastiques, aux questions périlleuses sur les mariages mixtes, le Gouvernement ne doit me donner aucune occasion qui puisse troubler la paix et le calme entre l’État et l’Église. » En face de l’Etat qui asservissait son Église, il se flattait, lui archevêque, d’éviter tout contact avec Rome, puissance d’affranchissement ; il se faisait un mérite de négliger la Curie, comme son collègue de Mayence de la fourvoyer. Ne s’agissait-il pas, avant tout, de faire bon ménage avec le Gouvernement ? Les immixtions romaines risquaient de troubler cette concorde intestine ; il les fallait évincer. Pour vivre en paix avec l’État, les évêques faisaient en sorte que Rome leur laissât la paix : tout leur idéal se bornait à prolonger leur complaisante servitude, à l’abri d’un universel silence.

La tribune, parfois, s’offrait à l’Église comme une avocate d’office ; alors les évêques s’apeuraient, se reprenaient à gémir, non sur les persécutions qui les guettaient, mais sur les appuis