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citer plusieurs autres), qu’en plein XVe siècle il n’y a d’autres maîtres à Sienne que ceux du Trecento. Ce sont, en réalité, ces grands morts qui continuent de peindre ; leurs mains d’ombres dirigent le pinceau dans la main de leurs dociles neveux. Mais à côté de ces ouvrages de pure imitation qui montrent où nos gens ont été à l’école, et menaceraient de faire craindre pour la sincérité de leur style, voici, sur un panneau de la taille des deux mains, reconnaissable à ses joues creuses, à ses jolis yeux gris, au rictus convulsif de ses lèvres exsangues, le visage pâle et charmant de saint Bernardin, le seul dont l’école eût admis le portrait ressemblant au milieu de ses figures irréelles, pour l’avoir vu souvent si transfiguré par l’éloquence, si radieux d’amour, qu’il eût paru moins beau sans son infirmité. Une pareille exception atteste suffisamment l’immense ascendant de cet homme. Sano avait peint, du vivant du saint, une chapelle dans son couvent chéri de la Capriola. Il avait assisté, soit sur la Piazza del Campo, soit sur l’esplanade des Servîtes, à ces prédications en plein air, durant six heures de suite, où venaient prendre place à genoux, avant le lever du soleil, des foules de trente mille auditeurs, les femmes séparées des hommes par une barrière ou un cordon, et où, pour que l’on pût entendre de plus loin, un drapeau planté sur la chaire indiquait d’où venait le vent. Sano nous a laissé de telles scènes deux tableaux qu’on peut voir à l’Exposition et qui ressemblent à de grandes miniatures de Fouquet. C’est ce qui explique le charme de ce peintre sans grands mérites. Ce n’était qu’un bon artisan, mais son maître ès arts fut un saint.

Sano est souvent appelé l’Angelico de Sienne. Mais Angelico est un très grand homme : il a la plus ardente imagination mystique ; c’est un peintre admirable. Sano occupe un rang beaucoup plus humble. Ses Madones aux gros yeux ronds à fleur de tête, fendus bénignement en amandes, aux sourcils naïvement formés d’une virgule, à l’air benoît plutôt que suave, et que rien ne distingue des béates qui les entourent, on leur trouverait peu de charme, si elles n’étaient si pieuses. Son art est de ces choses où il n’y a rien pour l’esprit, mais où Dieu connaît ceux qui l’aiment. Il a la tradition, l’instinct de ces arrangemens, de ces plis réservés, de ces pudeurs, de ces secrets de moniales qui font que, les ayant perdus, de bien plus grands artistes n’égaleront pas l’impression que nous recevons de ce peintre qui jamais