Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/549

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

recherches arbitraires devint telle que le Comité lui-même jugea nécessaire de la calmer. Le remède eût été de laisser à la justice du pays les enquêtes et les poursuites. Mais cette justice était celle de l’Empire, et, à Marseille, le chef du parquet avait instruit, pour sociétés secrètes, provocations séditieuses, ou crimes de droit commun, contre une partie de ceux qui étaient devenus les chefs ou les soldats du gouvernement nouveau. Ils ne voulaient pas rendre à cet ennemi le droit de persécuter encore les républicains. Labadié, après avoir supprimé un général, n’était pas embarrassé pour en finir avec un procureur. Il le destitua, et, comme s’il fallait qu’à ce moment toute autorité parût amoindrie par le choix des occupans, il donna la fonction à un commis-greffier du tribunal de commerce, Maurel, qui d’ailleurs avait ses grades de droit, et se trouva posséder les qualités d’un magistrat. Ainsi la révolution se mêlait même aux mesures d’ordre, et c’est seulement après ce changement qu’une proclamation, démentant les principes de la veille, rappela aux Marseillais que nul d’entre eux n’avait le droit de s’improviser magistrat et, pour la première fois, proposa à leur activité la défense du pays.


VI

Deux jours de troubles avaient suffi pour exaspérer les discordes de Marseille. Les démagogues agissaient en maîtres, et la brutalité du joug révoltait le bon sens, la dignité, la conscience et les délicatesses de la population. Informé de cette crise, le gouvernement espéra l’apaiser en nommant avec pleins pouvoirs comme administrateur Esquiros. L’homme était connu comme un lettré, un écrivain de talent. La culture de son esprit, la distinction de sa personne, la douceur calme de sa parole, et jusqu’à son air de réserve un peu haute, semblaient autant de garanties contre des complaisances et surtout des complicités avec la dictature des ignorans, des furieux et des ineptes. Il était de plus député de Marseille : motif de plus, espérait-on, pour qu’il ne sacrifiât pas la majorité de ses électeurs à une poignée d’émeutiers. Cette majorité, consciente que la source de désordres présens et futurs était à la Préfecture dans ce comité et dans cette troupe de révolutionnaires imposés par une surprise à une ville où ils n’étaient rien, comptait sur la justice et sur l’intérêt