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LES FAUSSES CONSÉQUENCES


MORALES ET SOCIALES


DU DARWINISME


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Les théories biologiques de notre siècle ont été interprétées à plein contresens et sont devenues, si l’on peut dire, la plaie de la morale, y compris la morale politique et internationale. Jamais, avec un tel cynisme, ne s’était étalé le vice des généralisations précipitées. Les conséquences pratiques qu’on a prétendu tirer du darwinisme ne sont que trop connues. N’a-t-on pas vu les darwinistes soutenir ce qu’on a nommé le droit au meurtre, la philosophie de « l’assassinat scientifique, » la théorie de l’égoïsme brutal et féroce, « réveillant, dit Alphonse Daudet, ce qui reste à quatre pattes dans le quadrupède redressé, servant de prétexte et d’excuse à toutes sortes d’infamies ? » N’a-t-on pas étendu aux races et aux peuples la morale du « fer et du sang, » de la force « accoucheuse des sociétés ? » « La guerre est sainte et d’institution divine, disait M. de Moltke ; elle entretient, chez les hommes, tous les nobles sentimens : honneur, vertu, courage ; elle empêche le monde de tomber dans la pourriture. » Telle est, selon la Bible darwiniste, la loi tragique des sociétés, comme de la nature. Nietzsche n’a fait que développer en une poésie étincelante les lieux communs du darwinisme, interprété à la manière allemande. La patrie de Darwin lui-même ne pouvait rester en arrière. Depuis que l’impérialisme anglais cache le vieux droit du plus fort sous le nom plus moderne de droit à « l’expansion, » les revues anglaises, et