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On voit ce que devient, poussée à ses extrêmes conséquences, la doctrine, qui dit, avec le vieil Héraclite : « Le combat est le père de toutes choses. » Cherchons cependant la part de vérité que contient cette théorie de lutte universelle, et nous verrons ensuite si, au point de vue de la science, on a le droit de l’ériger en vérité totale.

Ce qu’on ne peut refuser à Darwin et à ses disciples, c’est l’omniprésence de la concurrence vitale, dont le combat pour la vie n’est qu’un cas particulier. La concurrence vitale a pour cause, non pas, sans doute, le fait même et « l’essence de la vie, » comme le soutient Nietzsche, mais la limitation que le milieu habitable et la quantité finie des alimens apportent à la multiplication naturellement indéfinie des êtres vivans. Dans un milieu limité, les substances alimentaires ne peuvent pas ne point disparaître graduellement ; les substances « excrémentielles, » et impropres à la vie, au contraire, s’accumulent de plus en plus ; les conditions de milieu changent donc forcément. Il en résulte que tel milieu qui, hier, était favorable à la vie de plastides d’une certaine espèce, ne le sera plus aujourd’hui ; en revanche, ce milieu conviendra au développement vital d’une autre espèce qui, hier, ne pouvait s’y trouver qu’à l’état d’indifférence chimique, ou à l’état de destruction. De là dérive la succession des faunes de protozoaires, des flores de microbes et de champignons ; nous en voyons maint exemple dans les infusions de nos laboratoires, par exemple dans la fameuse infusion de foin, qui sert de type. Une partie des protozoaires se trouve nécessairement détruite, faute de conditions chimiques suffisantes. Quand il s’agit de métazoaires, les plus forts mangent les plus faibles, et c’est alors qu’il y a vraiment lutte pour l’existence. Chez les êtres qui ne mangent pas, comme les végétaux, il n’y a pas de lutte, et cependant il y a toujours concurrence, prétentions simultanées et partiellement incompatibles. Dans la mer et sur la terre, se produit un balancement de profits et pertes, tel que la quantité totale des substances plastiques reste sensiblement la même, puisqu’elle a certainement atteint, depuis fort longtemps, avec de petites oscillations insignifiantes, le maximum qui lui est permis dans l’état actuel du globe. « Il faut donc qu’en un laps de temps déterminé, il se détruise une quantité de substances plastiques à peu près égale à celle qui s’est produite dans le même temps. » Cela revient à dire que le budget de la vie dont parle