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il était, rapporte un témoin[1], « dans une dernière consternation. » Le peuple avait du chagrin, comme si son prince lui avait causé une grande déception.

Les ennemis de Lauzun attisaient le mécontentement et tâchaient de gagner du temps. Louvois passa pour avoir obtenu de l’archevêque de Paris qu’il retardât les bans. Le ministre se sentait directement menacé, et c’était aussi l’avis du monde politique, où beaucoup de gens crurent toujours que le mariage de Mademoiselle avait été un coup monté « contre M. de Louvois, ennemi de M. de Lauzun[2], » par Colbert et Mme de Montespan.

Tandis que l’orage s’amassait, les amis des deux amans les pressaient d’en finir au plus tôt. « Au nom de Dieu, leur disait Rochefort, capitaine des gardes comme Lauzun, mariez-vous plutôt aujourd’hui que demain. » Montausier les « grondait » de lanterner. Mme de Sévigné représentait à Mademoiselle que c’était « tenter Dieu et le Roi[3]. » Rien n’y faisait avec des gens qui marchaient sur les nuées. Lauzun « enivré de vanité[4] » se croyait au port et à l’abri de tout, ayant le Roi et Mme de Montespan pour lui. Mademoiselle « enivrée d’amour » se laissait guider. Son premier avis avait été de se marier le soir même de la députation, sans le dire à personne, mais Lauzun s’y était refusé : « Il était si persuadé que (Mme de Montespan) ne lui manquerait pas et que rien ne pourrait changer le Roi pour lui, qu’il se tenait sûr de tout et me disait : « Je ne me défie que de vous. » Se marier ainsi en tapinois ne contentait point sa vanité. Il voulait que cela se fit « de couronne à couronne[5], » en plein jour et dans toutes les formes. Il voulait la chapelle des Tuileries, du faste, de la foule, une haie de visages étonnés et envieux. Il voulait la « riche livrée[6] » qu’il s’était hâté de commander pour la circonstance. Bref il voulait la lune, et cela ne réussit jamais.

Le mardi, 16 décembre « se passa à parler, à s’étonner, à complimenter[7]. » Il vint au Luxembourg « un monde infini, »

  1. Philibert Delamare, loc. cit.
  2. Journal d’Olivier d’Ormesson.
  3. Lettre à Coulanges, du 31 décembre. La lettre où elle annonce le mariage, trop connue pour qu’on l’ose citer, est du 15.
  4. Mémoires de La Fare.
  5. Mémoires de Mme de Caylus.
  6. Saint-Simon, Écrits inédits.
  7. Mme de Sévigné, lettre du 19 décembre.