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remercier la petite-fille d’Henri IV de l’honneur qu’elle avait voulu lui faire. M. de Montausier porta la parole. Mademoiselle sanglotait, Lauzun avait pris l’attitude, qui devait lui être comptée, et il le savait bien, d’un homme qui bénit les coups les plus cruels, partant de la main de son Roi. « M. de Lauzun, écrivait Mme de Sévigné, a joué son personnage en perfection ; il a soutenu ce malheur avec une fermeté, un courage, et pourtant une douleur mêlée d’un profond respect, qui l’ont fait admirer de tout le monde[1]. » La princesse l’aurait souhaité moins admirable. Elle lui disait : « Vous avez cette force d’esprit que tout le monde vous croira indifférent pour moi. Que dites-vous ? » et je sanglotais à chaque parole. Il me dit d’un grand sang-froid : « Si vous croyez mon conseil, vous irez demain dîner aux Tuileries et remercier le Roi de l’honneur qu’il vous a fait d’avoir empêché une chose, dont vous vous seriez repentie toute votre vie. » Elle l’emmena à l’écart et eut enfin le plaisir de le voir pleurer : « Il ne me sut jamais parler, ni moi non plus. Je lui dis seulement : « Quoi ! je ne vous verrai plus ? Si cela est, je mourrai. » Puis nous retournâmes. Ces messieurs s’en allèrent… je me couchai ; je fus vingt-quatre heures… quasi sans connaissance. »

Elle avait défendu de recevoir personne. Sa porte s’ouvrit cependant, le vendredi matin, pour Mme de Sévigné. Il y avait juste vingt-quatre heures que Mademoiselle avait débordé de joie devant elle et méprisé ses avertissemens : « Je la trouvai dans son lit[2] ; elle redoubla ses cris en me voyant ; elle m’appela, m’embrassa, et me mouilla toute de ses larmes. Elle me dit : « Hélas ! vous souvient-il de ce que vous me dites hier ? Ah ! quelle cruelle prudence ! ah ! la prudence ! » Elle me fit pleurer à force de pleurer. » Un peu plus tard, on lui annonça le Roi. « Quand il entra, rapporte Mademoiselle, je me mis à crier de toute ma force ; il m’embrassa encore et fut toujours sa joue contre la mienne. Je lui disais : « Votre Majesté me fait comme les singes qui étouffent leurs enfans en les embrassant. » Comme il lui promettait merveilles pour la consoler, entre autres « qu’il ferait des choses admirables pour M. de Lauzun, » elle eut la présence d’esprit, malgré son trouble, de demander s’il lui faudrait ne plus voir son ami ? La réponse du

  1. Lettre du 24 décembre 1670.
  2. Lettre du 31 décembre.